19 - Le crime parfait

Voilà un titre « accrocheur » ! Et pourtant, le crime parfait, ça n'existe pas... Certes, dans les archives judiciaires, on trouve des meurtres non-élucidés, il existe bien, ça et là, des assassins en liberté qui n'auront à répondre de leur homicide que le jour où ils se retrouveront face à leur conscience, mais en général, on s'accorde à penser que c'est pas fastoche.
Ne nous voilons pas la face, les humains sont ainsi faits que l'envie de meurtre habite potentiellement chacun d'entre nous. Conflit de voisinage, querelle familiale, rivalité professionnelle, dépit amoureux, jalousie, refus de priorité, divergence d'opinion et j'en passe, les motivations sont multiples, les motifs innombrables, les mobiles légitimes. Alors je vous propose un moyen ! Impunité garantie, même si vous êtes identifié sans le moindre doute.
J'en viens au fait ! Je subodore votre haletante avidité, car à n'en pas douter, vous aussi, vous endurez en silence l'insupportable frustration de ne pouvoir passer à l'acte par crainte de la prison alors que la Terre se porterait tellement mieux si votre rival venait à disparaître prématurément. Voici le moyen de prendre les chose en main sans être obligé d'attendre une hypothétique intervention divine.

Assez joué avec vos nerfs, voici offerte la clé : l'accident de chasse !

Les ceusses d'entre vous qui fréquentent les magasins d'articles de sports, qu'ils soient décathloniens, vieux campeurs de la hutte ou adeptes des marques concurrentes, auront sans doute noté que la chasse est une pratique de loisir, au même titre que le vélo ou le badminton.

Comme je souhaitais récemment renouveler mon costume de bain, et que, déambulant paisible entre les rayonnages gais et chamarrés de la surface dédiée où des photos grandeur nature de gracieuses naïades semi-dévêtues me souriaient d'un air complice et entendu, en sortie de virage, je tombai soudain sur le stand des cynégétistes. Dans ce temple des pratiques pacifiques et conviviales, solitaires ou collectives, on trouve donc un autel réservé aux chasseurs. Le chasseur est par conséquent un sportif, au même titre que le pongiste, le golfeur ou le kayakeux. Point n'est donc besoin d'aller se faire dépouiller dans les quartiers mal famés au nord de Marseille ou au sud de Brest pour s'offrir un gun subreptice, ici, on vous procure une arme au grand jour et une facture avec la TVA dessus. Pour être tout à fait crédible et insoupçonnable, ne lésinez pas : équipement intégral avec tenue léopard, casquette et boléro fluo, gibecière isotherme à bière et rosé et cartouchière... Prévoyez de claquer un bon 1500 euros, plus les munitions à gros gibier. Ben, oui, ça fait un peu cher comme investissement de départ, mais le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ?

Ne vous reste plus qu'à passer le permis, simple formalité pour le commun des mortels, puisque l'absence de QI est même un atout. Voilà, vous êtes fin prêt ? Équipé de pied en cap ? Je vous livre la suite du modus operandi.

7erreurs

Il vous suffit d'attirer votre future victime en campagne, dans les champs ou les bois peu importe, libre à vous de déterminer sous quel prétexte, je vais pas non plus vous mâcher tout le boulot. Attention toutefois au calendrier ! Respectez bien les dates d'ouverture, sinon vous seriez considéré comme braconnier et dans ce cas de figure, la sanction judiciaire est lourde. Et puis, une simple pression sur la gâchette, « pan-pan, t'es mort ! ». Simple comme bonjour ! Tout de suite après, et avant d'appeler les gendarmes, pour assurer la crédibilité de votre personnage auprès des forces de la Loi et de l'Ordre, pensez à ingurgiter en vitesse un bon litre et demi de vinasse de piètre qualité titrant au moins 12°. C'est là un point essentiel !

Voilà, le tour est joué. Il vous restera à subir, patient et stoïque, les indispensables formalités d'usage pour lesquelles il est souhaitable de jouer au larmoyant ravagé par le remords et l'incompréhension. Vous bénéficierez ensuite d'une complaisance généralisée : les gendarmes, bienveillants et débonnaires vous interrogeront pour la forme, le procureur se montrera indulgent et magnanime, et en mettant les choses au pire, si votre affaire remonte jusque là, le tribunal sera clément et compatissant.

Chaque année, les populations de nuisibles humains s'auto-régulent ainsi par dizaines. Selon le site « la buvette des alpages » qui se livre à un recensement méticuleux, la saison 2013/2014 a plutôt été en demi-teinte, avec un total un peu décevant de 42 morts seulement, dont 3 non-chasseurs pour alimenter la rubrique des dégâts collatéraux, et manque de bol, cette année, pas d'enfants.

Vous l'aurez constaté, tous ces meurtres restent particulièrement discrets et les médias d'ordinaire si diserts sur le plus insignifiant fait-divers observent ici une réserve et un mutisme étonnants... Profitons-en !

texte et dessin de Gilles Knopp

ET, EN PRIME AU TABLEAU :

La chasse (Paroles et musique : Henri Tachan )

Sur un'e boîte de conserve, sur un pigeon d'argile, vains dieux, c'est pas pareil !
Pour les chasseurs, les vrais, il faut de la chair tiède avec du sang vermeil,
Pour les chasseurs, les vrais, il faut que ça palpite de plumes et de ramage,
Il faut que ça ait peur, il faut que ça se sauve, bref, que ce soit " sauvage "...

La Chasse,
C'est le défoul'ment national, c'est la soupape des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr'e permise aux hommes en temps de paix !

Chaque mois de septembre, le plumet au chapeau, ils part'ent comme en quarante,
Ranimer la flaflame du Chasseur Inconnu qu'avait du poil au ventre,
En cart'e comme les putes, ils dragu'ent à Rambouillet, ils tapin'ent en Sologne,
Mais quand ils tir'ent leur coup, le client de passag'e se réveille charogne...

La Chasse,
C'est le défoul'ment national, c'est le coït des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr'e permise aux hommes en temps de paix !

Regardez-les marcher, l'arrogance au visage, le coeur sur la gâchette,
Ces spadassins rentrés, ces héros d'Epinal, ces tueurs de fauvettes,
Regarder les marcher, ces Zaroff de banlieue, ces Hemingway d'Neuilly,
Vers le trou à lapin, vers la mare à canards, y faire leur safari...

La Chasse,
C'est le défoul'ment national, c'est la Villette des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr'e permise aux hommes en temps de paix !

Les soldats ça s'enraye, les soldats ça se rouille, c'est comm'e les carabines
Le servic'e militair'e ça s'continue plus tard à coups de chevrotines :
Pour le chasseur français y avait le perdreau boche ou le lièvre fellouze,
Pour le chasseur franquiste l'anarchiste rouge-gorge et la chienne andalouse...

La Chasse,
C'est le défoul'ment national, c'est le p'tit Vietnam des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr'e permise aux hommes en temps de paix,
De paix !

( à écouter sur youtube)