32 - Un sabotage signé FNSEA

"Libérez les énergies" : les récents Bonnets Rouges (rien à voir avec ceux de 1675) ont ressassé à foison cette formule magique, destinée à affranchir l'agriculture de son "carcan environnemental" (Directive Nitrate, déplafonnemnt du cheptel  hors-sol soumis à enquête publique, zones humides, contrôles des installations classées...). Les exégètes ont glosé avec délectation sur l'origine de ce sésame, attribué à une soirée bien arrosée à Carhaix entre Troadec et Merret. Trop beau pour être plausible ! La formule vient de plus loin et de plus machiavélique, même si elle s'est refaite une jouvance en passant par l'Institut de Locarn, présidé par l'ex-marchand de farines animales, Glon (cf à ce propos les quelques articles de synthèse sur une autre page de ce site). Un grand stratège, président de la FDSEA et directeur de SOFIPROTÉOL savait parfaitement quel jeu il jouait en adressant, le 22 novembre dernier, ses directives d'action à ses meneurs départementaux. Pas étonnant que notre nouveau ministre de l'agriculture a le même nom que l'ancien. Il est même devenu hier porte parole du gouvernement. Beulin peut jubiler.
JK

Plan de sabotage politique par la FNSEA

    Dans une lettre adressée aux présidents régionaux et départementaux du syndicat agricole majoritaire le 22 novembre 2013 et que GLOBALmagazine s’est procurée, le président et le secrétaire général de la FNSEA appellent leurs troupes à se mobiliser pour mener une véritable guérilla contre la politique agricole du gouvernement et par delà contre les aspirations de la société. Les deux signataires, Xavier Beulin
(photo ci-dessous)   et Dominique Barrau, donnent les éléments de langage nécessaires à la désinformation puis détaillent la feuille de route de l’offensive à laquelle ils exhortent leurs troupes.beulin
    Passée la rengaine habituelle sur « la nourriture de l’Humanité » présentée comme la  manne salvatrice de l’agriculture française (ode à l’exportation), les deux responsables nationaux  mettent en avant les « besoins non-alimentaires » où « l’agriculture et l’agro-industrie sont porteuses de réelles pistes de solutions pour préserver les équilibres environnementaux de la planète ». On pense aux agro-carburants, à la méthanisation comme survie de l’élevage industriel.
   Puis les deux responsables nationaux s'attachent à la désignation des cibles : « trop de contraintes parfois sans fondement scientifique ou technique réels qui découragent  l’initiative et démotivent les Hommes » : la paraphrase renvoie aux OGM.
« Trop de distorsion de concurrence (…) trop de blocages idéologiques » … l’acte d’accusation semble inspiré par le MEDEF dont la FNSEA est membre.

    Pour la FNSEA « La coupe est pleine ! Notre activité, notre Pays, nos territoires ont besoin d’initiative, de valeur ajoutée et d’emploi ! »  Certes ! On rappellera ici, pour mettre en perspective historique une si louable assertion, que la politique cogérée par la FNSEA depuis plus de 40 ans a divisé par 4 le nombre de paysans. Et qu’une ferme disparaît environ toutes les 30 minutes en France, ce qui n’est pas sans relation avec la surmortalité par suicide des paysans, particulièrement chez les éleveurs. Quand à la création d’emplois dans l’agro-alimentaire, il faut aller en parler aux Bretons … aux licenciés de Doux, de Gad, de Marine Harvest ! 

    La lettre appelle ensuite à la mobilisation « sur le terrain », en ciblant les ministres et parlementaires, le tout assorti d’une recommandation des plus surprenantes : « le dossier PAC ne doit pas être au centre des messages portés » ! En clair : on signe discrètement à Bruxelles la fin des petits paysans, le non plafonnement des subventions pour les agro-industriels et, en France, on joue les colombes en attisant la colère contre le gouvernement … La manipulation est même expliquée : « l’opinion, la presse, les autres acteurs économiques sont sensibles à nos messages sur l’emploi, le ras le bol fiscal : nous devons utiliser cette sensibilité populaire ! ». Attiser et détourner un mécontentement légitime en entretenant volontairement la confusion sur ses causes cela s’appelle du populisme.
poujadistes On ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec la mobilisation des « Bonnets rouges » et le rôle qui ont joué les FDSEA (l’une d’elle, celle du Finistère, allant jusqu’à déposer la marque « bonnet rouge »). On retrouve d’ailleurs en page trois, dans la « synthèse des positions de la FNSEA  sur les taxes»  un appel à se mobiliser contre l’écotaxe mais aussi contre la fiscalité climatique, contre la directive nitrate, contre la loi cadre sur la biodiversité, contre le moratoire sur les retenues d’eau, contre la taxe foncière touchant les installations de méthanisation, contre le coût du travail, contre… 

    
Bref la FNSEA veut continuer à faire ce qu’elle veut des campagnes … en oubliant que sous son empire la campagne s’est dépeuplée, que les paysans n’y sont plus majoritaires et que le modèle d’agriculture intensive qu’elle défend suscite a minima la méfiance de la majorité des citoyens. On ne s’étendra pas ici sur les nombreuses alertes alimentaires de ces dernières années, ni sur les désastres sanitaires des pesticides. Elle semble vouloir contourner la démocratie (le refus des OGM par exemple), la loi (exemple la directive nitrate), l’intérêt commun (exemple la lutte contre le réchauffement climatique) via le populisme et l’attaque frontale contre le gouvernement.
Depuis sa création à la Libération, c’est la première fois que la FNSEA s’engage officiellement, au niveau le plus élevé, dans la déstabilisation politique. Il y eu le cas de dirigeants particulièrement liés à des partis et mouvements politiques mais jamais la direction nationale n’avait officiellement lancé un appel aux troubles publics.

  Enfin, cette lettre annonce la volonté d’imposer au gouvernement des « états généraux de l’agriculture et de l’agro-alimentaire », initiative politique visant - dans le cadre de la nouvelle PAC en partie renationalisée - à imposer en France ce qui n’a pas pu l’être à Bruxelles : à savoir repousser au maximum le verdissement de la politique agricole et préserver l’inégalité de la répartition des subventions. "Etats généraux" que trois ministres, Stéphane Le Foll (Agriculture), Guillaume Garot (Agroalimentaire) et Philippe Martin (Ecologie), ont honoré de leur présence ce 21 février, veille du salon de l’Agriculture . « Etats généraux » … sans les autres syndicats agricoles, ce qui limite la portée réelle de l’évènement et laisse perplexe sur la gestion pluraliste de ce dossier par le gouvernement.

Vous pouvez prendre connaissance de la totalité du document en le téléchargeant ici

Jean-Pierre Lagadec
Globalmagazine

AJOUT au 24/04/14

Voir aussi l'article de Marianne du 22/04/14, signé Périco Légasse et consacré à la "beulinisation" de la france agricole :
"Alors que nos derniers paysans disparaissent, le lobby de la malbouffe et de l'industrialisation des campagnes garde la haute main sur le syndicat majoritaire. Voici le fossoyeur de l'agriculture française confirmé dans ses œuvres."