34 - Notre Chanel

   Cette « page de Bretagne » ne s’interdit ni critique littéraire, ni copinage, si tant est qu’on puisse séparer les deux. Allez-donc vendre plus de 500 exemplaires d’un roman sans un coup de pouce du Monde des livres, Nouvel-Obs, Télérama, Ouest-France ou Le Figaro ! Pas une raison suffisante, sur un site moins couru, pour émarger aux entreprises de faussaires, instrumentalisée en sous-main par les élus, à l’affût de plumes serviles pour passer le monde de l’édition et les auteurs sous leurs fourches caudines (cf l'équipe de Livre et Lecture en Bretagne). Peu d’auteurs ne doivent leur succès qu’au bouche-à-oreille de leurs lecteurs. Surtout s’ils ne sont pas Lutéciens.
Ce préambule posé une fois pour toutes -vous verrez plus loin qu’il est dans le sujet-, parlons d’un coup de cœur du jour, grevé d’une tare initiale : celle de concerner aussi un ami. 
coco

     Le « Notre Chanel » de Jean Lebrun m’a laissé sur les fesses. Celles, très courues, de Coco Chanel. Comment démêler la trame des amours vrais et des intérêts tissant les jours tumultueux de la plus grande couturière du siècle ? Jean Lebrun s’y coltine avec sa minutie d'historien et son humour de romancier.

    Ces amants et amantes qui défilent dans les bras de notre Gabrielle au grand cœur sont plus marqués que mannequins défilant lors de ses présentations de collections. Et quelle collection ! Bresson, Berstein, Reverdi, Stravinski, Westminster, Cocteau, Dali… pour ne citer, dans le désordre, que quelques-uns des plus célèbres qui ont aussi hantés ses châteaux et usines à petites mains.
   Car cette femme est une entrepreneuse, plus qu’une courtisane. C’est elle qui se fait courtiser. Par tous, y compris l’occupant allemand. Elle sait vendre au prix fort sa signature sur ses collections de génie, habits chapeaux ou parfums, comme elle sait vendre sa collaboration pour obtenir des nazis la libération d’un neveu qu’elle considère comme son fils. Naïve aussi. Elle ira jusqu’à imaginer pouvoir tenir un rôle dans la redistribution des cartes d’après guerre en raison de son amitié avec Winston Churchill. Ce qui lui vaudra de n’être pas trop inquiétée à la Libération, malgré sa relation avec un officier de renseignement allemand.
    « Gabrielle, tu ruines nos espoirs… »

    En arrière plan du livre, comme un bruit de fond, sorte de mer tranquille qui va bientôt se transformer à tsunami, trait à trait, se dessine un autre personnage : Bernard Costa, l’ami dont Jean Lebrun est en deuil éternel et avec lequel il avait entrepris, il y a plus de 25 ans cette enquête minutieuse auprès des témoins encore vivants, en hantant des lieux encore habités par le parfum de Gabrielle.
    Ce roman vrai à quatre mains nous emporte peu à peu en une autre histoire, en pays de fidélité. Comme si la découverte de Gabrielle devait se payer de la disparition de Bernard. Comme si l’inconstance de Gabrielle devenait le révélateur de la fidélité de Jean. Amusés au début par l’humour fort british de l’auteur, on en sort émus, puis bouleversés.
    La recherche historique n’est pas qu’affaire d’intellect.  L’historien qu’il le veuille ou non, qu’il le dise ou pas, s’implique corps et âme dans son sujet. Cette fois le voyage vers le passé est parfaitement convaincant. Un univers se crée. Une affaire de style. Le propre des vrais auteurs.
Et des auteurs vrais.


JK