204 - PILOTE DÉPRESSIF

Andreas : voler jusqu’à la chute intérieure.

Courir en tous temps et toujours plus vite : dans quelle direction et pour gagner quoi ? Andreas Lubitz s’est-il fracassé sur ces questions et sur son incapacité à y répondre ? On ne fera pas ici parler les morts. Mais en choisissant de tomber du ciel pour s’écraser sur la dure réalité de la croûte terrestre, en entraînant dans sa chute l’équipage et les 144 passagers de l’Airbus qu’il pilotait, il interroge cruellement le sens de la modernité et d’autant plus fortement qu’il en était, à un haut degré, l’incarnation.andreas

Mais l’homme couvait sous l’uniforme ; parcourir les cieux c’est voler au-dessus d’abîmes dont la mélancolie, la dépression, peuvent faire écho aux malheurs du monde, fussent-ils vus de haut.

Le geste suicidaire du pilote de Germanwings nous renvoie aux mystères de la psyché, lesquels, paradoxalement, n’ont rien de strictement individuels. D’après les spécialistes, quelque 350 millions de personnes dans le monde seraient sous l’empire de la dépression. Cette véritable « épidémie psychique » ne serait pas sans lien avec l’accélération du monde, la vitesse croissante de ce qui permet d’en faire le tour, l’angoisse d’avoir touché sa finitude.

Faut-il alors rejeter la responsabilité de la chute sur les technologies et leurs mises en œuvres ? La science et ses applications rendraient-elles fou ? Ce procès a régulièrement été intenté contre le chemin de fer, contre le cinéma, contre l’ordinateur ; gageons que l’affaire est loin d’être close. Sans doute le numérique, l’informatisation omniprésente, et le faux sentiment d’ubiquité qui en découle sont-ils, au sens propre, troublants pour des individus expérimentant à la fois un sentiment de toute-puissance et les limites du réel.

L’idéologie de la performance – qui ne doit rien à la technologie et tout à la compétition financière – y ajoute sa touche, potentiellement mortifère. Le glorieux privilège du pilote de ligne peut alors s’inverser en une insupportable souffrance ; aveuglé par un soleil qu’il ne peut atteindre, Icare peut alors renoncer, rompre avec ce qui, jusqu’alors, le propulsait vers le sommet, toujours plus haut. Sa chute, à ce titre, vaut aussi mise en garde.

Pierre Tartakowsky, écrivain