1 - Mendiants et curés
En quête de sens (eh oui, ça arrive !) après 25 quêtes au chapeau à la fin des (déjà) 25 représentations du spectacle « Le pape voyage », en compagnie de Lors, mon compère baudet rouge, les affres de la quête sont venues titiller mes nuits. Tendre la sébile a toujours été une affaire de pauvres. Mendiants courant les routes au Moyen Age, clodos sous les porches aujourd’hui, glaneuses dans les champs. Une petite pièce messieurs dames ! T’as pas un euro ? Carburer encore à l’aumône à 75 berges ! Quelle belle réussite sociale, maman ! …Même si on a songé, un temps, revêtir la bure des frères mendiants.
Liée à la religion, la quête avait autrefois quelques lettres de noblesse. Les enfants guettaient à l’automne, par-dessus le talus, la venue des quêteuses de beurre puis des quêteurs de blé, officiant pour le compte du recteur de la paroisse. Ils courraient vite à la ferme prévenir la mère pour qu’elle mette à temps la louchée d’eau bouillante sur le café moulu. C’était un honneur de recevoir les quêteurs. Crêpes, gâteau breton, cidre, vin et lambig n’étaient pas de trop pour signifier la grande estime que nous portions au représentant de Dieu et à ses envoyés. Les journées de quête se terminaient souvent dans la douve après des libations rurales tenant plutôt de Bacchus que du Dieu chrétien.
Ces quêtes en nature s’ajoutaient aux trois quêtes hebdomadaires de la messe dominicale. Celle de la chaisière, écrémant les pièces jaunes, celle du bedeau, avec la petite caissette en bois à tête de mort, glanant les pièces nobles pour dire des messes pour les trépassés, et, enfin, celle du recteur qui officiait en tendant la corbeille d’osier et récoltait les gros billets.
Le produit final était proportionnel à la satisfaction des fidèles. Et aussi sans doute à leurs moyens. Lorsqu’un notable mourrait, grand spectacle en perspective : l’église était bondée et la quête d’enterrement à hauteur d’affluence. Pour stimuler la générosité des fidèles le recteur dénichait parfois un prédicateur réputé, directeur du séminaire ou moine de congrégation lointaine. Personne ne s’offusquait de cette recherche de résultat. La paye à la satisfaction était la norme. L’art de faire cracher au bassinet.
Nos 25 quêtes de ces derniers mois ont été vécues de même sorte, tenant, hélas, plus souvent de celle du bedeau que de celle du curé. Et pourtant la satisfaction semblait acquise, car les spectateurs riaient à gorge déployée. La « crise » (mot magique, inventé par ceux qui s’enrichissent à l’usage de ceux qui s’appauvrissent) était là, tapie dans les rires. À la sortie, nous avions presque honte d’arnaquer des spectateurs aussi fauchés que nous... comme si leurs rires et leurs applaudissements ne constituaient une rétribution suffisante.
Au soir, nous repartions les poches déformées par une quincaillerie de pièces métalliques colorées. La moyenne ? entre les 2€ en milieu rural, et les 5€ chez les citadins, légèrement plus rupins. À peine de quoi payer nos déplacements, ou réparer nos papamobiles fatiguées, plus souvent au garage que sur les routes. Tristes temps pour les artistes, contraints de se mettre dans la peau des clodos et des curés ! Pas question toutefois de les traiter de putes, car ces dernières se vendent à tarif convenu (et surtout beaucoup plus cher).
JK. (à suivre...)