219 - QUÊTE ARTISTIQUE (2)

2- La quête aux gros sous

L’artiste aurait-il des complexes à se vendre au juste prix ? Ses contributions sont-elles soumise à évaluation marchande ? Il lui faut bien croûter, élever ses enfants, réparer sa bagnole. Ses besoins seraient-il les seuls critères d’évaluation de son talent ? Comment fixer le prix d’une production artistique ? À quelle aulne juger le coût de ce petit plus qu’il tente d’apporter à la société tout en se faisant plaisir ?

Question de goûts. Le caviar ne vaut rien pour celui qui le déteste. Récemment j’ai payé une place à 26 € pour voir au TNB Rennes une pièce de théâtre qui ne valait pas deux sous et qui m’a désespérément ennuyé. Des exercices d’échauffement, style Living Théâtre des années 70, sur un texte indigent et prétentieux. Labellisée culture, elle avait pourtant franchi les étapes du parcours des subventions : État, Région, départements, agglos, villes. L’auteur, grand chasseur de primes, avait de l’entregent. Sans doute une autre manière de quêter, plus discrète et plus efficace. En foulant les moquettes feutrées de ceux que Brecht appelait « Les petits hommes gris ». Quête nettement plus noble. En tous cas moins humiliante pour le quêteur, car se déroulant en catimini.mendiants

Ce mille-feuilles d’aides publiques diverses suscite toujours un panier de jalousies, d’autant que le gâteau des subventions a désormais plutôt tendance à rétrécir. L’autre reçoit toujours trop. Celui qui ne reçoit rien s’acharne, ne désespérant pas participer un jour à la course au sac. Suffit de tirer la bonne carte. Celle du parti tenant la corde à la cour. Gommer pour cela tout ce qui pourrait lui déplaire, car élus et fonctionnaires chargés de la culture sont rarement masos.

Au final c’est toujours le même argent qui vient faire tinter la sébile : le nôtre. À la différence que le non-spectateur paye aussi en crachant ses impôts au bassinet, et que le spectateur, lui, est amener à payer deux fois... sauf quand il rentre à l’œil pour bourrer la salle, comme invité préposé à la claque. (Sans au moins deux rappels le spectacle serait qualifié de gros bide.)

S’il veut continuer à toucher son obole, le postulant théâtral subventionné doit chaque année présenter un nouveau dossier de création. Les spectacles ainsi s’accumulent, encombrant les entrepôts de décors flambant neuf et déjà obsolètes, qui, la plupart du temps, n’ont servi qu’une dizaine de fois. Frustration du comédien qui n’a même pas le temps de comprendre son texte, encore moins d’en jouir (quand le texte est bon.) Il faut faire tourner la boutique en passant vite à l’année suivante. Courir de rdv en rdv avec les élus, et remplir dans la foulée d’énormes dossiers administratifs de plus en plus délirants.

Les collectivités publiques ne sont pas les seules mises à contribution. Le sponsoring des entreprises est désormais de rigueur. Parfois même une condition pour toucher de l’argent public. Une manière de bien tenir son monde en main. Imaginez monter un spectacle égratignant Monsanto en allant réclamer du fric à Monsanto ? Ou une farce cochonnière, genre pig-mascarade, en demandant le soutien du comité régional porcin ? (Cette pig-parade, belle escroquerie intellectuelle, parcourt en ce moment la Bretagne avec ses cochons en béton, peints par artistes collabos… ce qui évite à ces derniers l’humiliation de faire la quête.)

Entre faire clodo ou curé, raquer les subventions ou se courber sous le joug des puissants, la cause de l’artiste, tenant à sa dignité d’homme libre, se joue sur le fil. Mais après quelle bonne fortune court-il donc ? Pourquoi s’obstine-t-il à jouer cette partition risquée ?

JK (à suivre...)