274 - BONNETS ROSES et COLS BLANCS

 J'étais jeudi à Plérin, dans la salle de réunion de la maison de l'agriculture, parmi les bonnets roses.

Le regroupement parti de la base, des producteurs de porcs laminés par la baisse des cours depuis des semaines. J'étais parmi ceux avec qui j'ai grandi. J'étais parmi des hommes et des femmes trahis par des représentants qui les ont abandonnés depuis longtemps, bons serviteurs des intérêts de la grande industrie. Humiliée par le mépris du Président de la COOPERL venu sans complexes vendre sa meilleure soupe, pareil pour le représentant du CRP le comité régional porcin ... Humiliée par le représentant d'UNICOPA qui n'avait d'autre discours que " Tout ça c'est de la faute des écolos " et " L'avenir c'est la Chine ". Humiliée par le représentant de la FNSEA qui s'était couché tard la veille, le pauvre, pour assister à Paris, aux voeux de Ségolène Royal et toper un représentant du ministère sur les dernières normes d'épandage. Alors qu'elles sont validées par Xavier BEULIN copain comme cochon avec les rentiers de la certification. La normalisation est une véritable industrie. Il faut l'alimenter. Nous sommes en bureaucratie, il faut lui fournir du boulot. Industries et certificateurs sont complémentaires, ils se nourrissent des nouvelles règles qui leur profitent, en contrepartie des suicides, du surendettement et des plans de licenciements ... Alors, tant qu'on les laisse faire. Personne n'a osé évoquer à qui profite le crime, je n'ai pas entendu parler de SOFIPROTEOL du groupe AVRIL de TERRENA ou TRISKALIA des banques associées ou des assurances etc ... Peut être que c'était pas le lieu ou pas l'heure ou l'endroit ?plerin rose

 Nous étions là en tout cas, dans un monde à deux vitesses. Dans deux réalités d'où personne ne pouvait s'extraire. Un monde d'hommes en cravate, formatés au discours de la grande industrie. Serviteurs des pieuvres à l'appétit immodéré qui osent encore porter le nom de coopérative sans avoir honte. Leurs arguments étaient tellement hors sol, que c'était à se demander s'ils n'avaient pas subi un lavage de cerveau. Quand les pieds ne touchent plus par terre, de toute façon les raisonnements sonnent faux. En même temps, à les voir, on les sentait à mille lieux des réalités du terrain et leur impuissance et leur faiblesse étaient palpables, au point qu'elles les rendaient tout simplement humains. Ils étaient les minuscules rouages de l'énorme machine. Ils jouaient leur rôle comme au théâtre, mais au fond d'eux, y croyaient-ils encore eux mêmes ? On aurait dit d'un côté, un monde d'officiers rapportant les discours de leurs généraux. Ils étaient bien installés en haut de la colline, observant la bataille à la longue vue, leur solde confortable versée à bonne date. Leur uniforme était de qualité. Leurs bottes bien cirées. Leur retraite en cours de calculs très favorables, avec de jolies médailles à la clef pour faits d'armes et bravoure, et surtout pour avoir dit AMEN à chaque réduction d'effectif décidée par filière, entre eux, au nom de la fatalité. Rien d'autre que les représentants de commerce des structures, coopératives industrielles, syndicats patronaux, grande distribution et structures administratives et politiques.

En face, il y avait les bons soldats de la France Agricole, qui avaient respecté depuis des décennies les plans de bataille à la lettre, avec une confiance aveugle, et une obéissance incroyablement exemplaire. En même temps, on avait en tête les noms parus dans les obsèques de ceux qui étaient tombés pour la gloire. Ceux qui étaient là n'avaient même plus de quoi se payer un casque, ils portaient un bonnet rose. Et puis, il y avait leurs femmes, et leurs filles. Ils étaient 10 millions en 1945, quand ils faisaient la fierté du pays. 10 millions disparus. Ils seraient aujourd'hui au bas mot 500 000 paysans actifs dans nos campagnes désertées, pour nourrir des banlieues surpeuplées. Hier, ils étaient un millier regroupé à Plérin. Ils parlaient juste. Ils disaient vrai. Ils disaient " Ayez au moins la dignité de partir, vous incarnez l'immobilisme et l'échec de la profession ... " Du côté des soldats, les prises de parole étaient tellement sincères que tous les yeux brillaient. La parole était désespérée pour certains. Je me sentais des leurs. On aurait pu voir les choses autrement et voir d'un côté, les prisonniers et de l'autre les gardiens de prisons, sachant qu'on se posait tous une question : lesquels ont-ils le plus besoin des autres ?

cochonsrosesJ'étais au coeur d'une rencontre d'humanité qui ressemblait à une explosion. L'analyse de la situation était d'une complexité inextricable et la réalité limpide : " Si le cours ne remonte pas on crève. On met tous la clef sous la porte. De toute façon vous nous avez menottés. Vous nous avez menti. On n'est plus libre de rien. Mais aujourd'hui une chose est sûre on a tous intérêt à rester groupés, fini les quarante groupements qui nous divisaient pour le bien du marché. Si on n'en fait plus qu'un, on sera plus solide ". Un homme courageux à un moment a pris le micro " J'ai pas dormi de la nuit pour vous dire ceci. Ici on a quasiment tous connu des catastrophes sanitaires, des suicides, des pépins de santé, des divorces, quand y a des dettes on se prend la tête et les enfants trinquent. Ceux qui sont ici et travaillent à deux, ils se regardent le soir les yeux dans les yeux en se demandant lequel de leur poste va sauter en premier, comment ils vont vivre et s'en remettre après " Ici en démarrant, on a cru s'engager à nourrir la population. On nous a trompés, c'est au marché qu'on a donné à bouffer. Et vous n'êtes même pas capables d'exiger une étiquette viande française au cas où la population, démocratiquement, voudrait encore reconnaître qu'elle vote à chaque fois qu'elle mange et qu'elle peut nous aider en achetant nos produits "...

 Les discussions auraient pu durer des heures. On était au coeur de la crise de la marchandise où les producteurs sont vampirisés, et les consommateurs pas informés. On était tous DEDANS mais tous CONTRE et personne n'était dupe, c'était une avancée. Plus personne ne voulait jouer son rôle sagement. Il y avait des milliers de choses à faire. Oui, mais par où commencer ?

Je suis rentrée chez moi les larmes aux yeux, en me disant, nos agriculteurs, nos artisans et nos petits commerçants sont les derniers indiens. Sans eux, mon pays ne ressemblera plus à rien, à rien qu' à une succursale du folklore américain. On ne peut pas les regarder partir sans rien faire, on va trouver des solutions pour leur donner un coup de main. SEF je pensais que leur slogan était bien trouvé SEF Sauvons l'Elevage Français Oui, mais par où commencer ?

J'oubliais que j'étais à cause de tous ces mensonges devenue quasiment végétarienne, et que je défendais le BIO ... J'oubliais mes propres contradictions.

Iso