49 - Gustave et la BD

    Des peintures rupestres de Lascaux à Bibi Fricotin, Tintin, Bécassine ou les Pieds Nickelés, l’art de la BD couvre une multitude d’œuvres hétéroclites. Mais, dans cette histoire de la BD, Gustave Doré, né à Strasbourg en1832, mort d’une crise cardiaque à Paris en1883, à l’âge de 51 ans, tient une place capitale, même s’il est plus connu pour ses illustrations, pieuses et hyper réalistes, de la Bible. La réédition, en janvier dernier, par le musée de Strasbourg, de son « Histoire pittoresque, dramatique et caricaturales de la Sainte Russie », parue en 1854 (il avait 22 ans), nous fait rencontrer un auteur à l’humour grinçant.

    Tous les procédés modernes en noir et blanc sont explorés par Doré qui joue des cases (y compris des cases vides, ou entièrement noires), de la recherche graphique, de la mise en page, de la répétition, de l’humour absurde, des dessins à contre-texte, des propos irrévérencieux. Un vrai déluge onirique  : jeux de mots, violence assumée, scatologie (les premiers rois russes meurent tous de coliques néphrétiques au retour d’une guerre à la conquête de Constantinople). 
On dirait que les Willem, Reiser, Vuillemin, y ont puisé leur inspiration délirante.  Ce style plutôt cru était, certes, en vogue chez les dessinateurs du 19ème, mais Gustave l’utilise à jet continu. On en reste cloué de tant d’audace, dans une France alors plutôt conservatrice. Il est vrai que le sujet choisi –dire du mal de l’expansionnisme russe- l’autorise à bien des licences.

    Son propos, lié à l’hécatombe humaine de la guerre de Crimée, est en effet simple : se foutre, à rire abattu, de la nation Russe qui « lasse d’être gouvernée par ses instincts et se goûts, songe un jour à se choisir un chef. » Car, avant Staline ou Poutine, il y eut aussi Yvan-le-Terrible, Pierre 1er, Catherine de Russie, Nicolas 1er, s’imposant tous au monde par les armes.

    Pour Doré, la suprême ambition des Russes consiste à grimper à un énorme mat de cocagne en suif, en forme de bougie
(cf dessin ci-contre) , alors que « des flots de graisse tombent incessamment sur les téméraires moscovites… les autres acteurs de ce drame, glissent les uns sur les autres et se voient menacés de fondre dans la graisse (eux qui eussent voulu la fondre en eux ) ».
    Une recherche de la lumière virant à la vision apocalyptique.

    Un ouvrage à ne pas trop laisser traîner du côté de l’Institut de Locarn, laudateur dithyrambe et inconditionnel de la nation russe, aujourd’hui renaissante.

JK