5 - La machine à respirer

25/02/14, avec suite au 27/02/14

Méfiez-vous des distractions fatales ...

Monsieur LUCAS ! avait appelé l'infirmière, c'est à vous. L'homme était entré. Bien, avait dit la doctoresse, Monsieur Lucas contrôle technique ! Nous avons interrogé votre compagne, elle ne se plaint de rien pour l'instant. Installez-vous, nous allons vérifier comment vous respirez et puis si elle dit vrai. Ouvrez la bouche s'il vous plait, je note, voile détendu apparemment. Prenez une bonne respiration et soufflez juste là, dans le bouchon. Denis avait soufflé avec application. Mais, ma parole vous faites du sport ! s'était exclamé la gordone. Vous le savez Monsieur, c'est dangereux et strictement interdit ! Mais, pas du tout, avait mentit Denis. Je marche cinquante mètres pour aller au bureau, je prends l'escalator, suivi de l'ascensor, rien de moins, rien de plus, je fais tout comme il faut, je suis le processus.

Vous en êtes certain vraiment, Monsieur LUCAS ? Faites bien attention, sachez que nous vérifierons ! Denis ne prit pas peur, et toisa l'adversaire. Comme vous voudrez, Madame le docteur, avait dit l'animal, vous pouvez vérifier, ce sera vite fait, je vis dans un bocal !

Après cela, Monsieur Lucas était rentré chez lui plus fatigué que d'habitude, le menton triste, la bouche en bas. Il accusait ses soixante printemps, ce jour là.

Mais enfin, cher, très cher Denis s'exclama la belle Lily, que n'avez vous pensé au gâteau? Je viens de préparer les soixante bougies, nous allons fêter ça, vite ouvrez la fenêtre, il fait beau ! Denis, qui d'ordinaire affichait facilement son vieux sourire d'adolescent, ne trouva pas le mode d'emploi. Il l'avait perdu certainement, laissé à l'hôpital là bas, oublié dans la salle d'attente.

Denis ne se dérida point, et déposa son embonpoint dans son fauteuil gris Renaissance, puis tourna son sourire absent vers sa belle. Lily ma douce, foin de vos sucreries, il n'y aura point de gâteau cette fois ci ! J'en n'ai pas le cœur ma mie. C'est fini je vous dis, je n'engraisserai plus les rentiers du faux sucre. Le vrai n'existe plus, c'en est fait je m'arrête là. Rupture définitive avec le chocolat. Je romps avec le superflu, je divorce des produits chimiques. Je veux fuir tout ce qui m' intoxique. Je veux me mettre au vert. Au cru. Au jus. Au clair. Lily, comprenez-moi ! Encore un peu, nous serons foutus. Mon ange, c'est décidé, c'est la guerre. Je ne veux plus passer par chez l'apothicaire ! Et pour tous les faire chier, j'irai jusqu'à la fin, en excellente santé.

J'aspire à respirer mieux qu'hier et moins bien que demain. Sortez de vos placards l'aspartame et les glutamates. Mon cerveau est touché par tous leurs produits lights. Je n'en veux plus. J'ai deux kilos à perdre je suis en sur-poids, il me faut m'affiner avant la fin du mois, je passerai le trente, à la pesée obligatoire. Imaginez. Soixante ans c'est affreux, me voilà désigné ronfleur, ils veulent m'équiper de leur respirateur. Je n'en peux plus. Cela fait cinq années, cela n'est pas normal, que je rase les murs, que je serre les fesses pour échapper à leur toucher rectal. Mon corps n'est plus à moi Lily, il est à la santé. Je les déteste ! Une fois de plus les gens de l'hôpital veulent vous interroger. Jurez ma chère, ma mie, ma sœur, jurez que vous résisterez. Jurez !

Mon amour, répondit Lily en riant, je le jure. Denis, je vous le jure. Vous pouvez ronfler tranquillement. Je suis une tombe et je doute qu'ils aient installé des micros. Ayez confiance, vous connaissez ma résistance. A deux, nous saurons mieux défier tous les barbus de la santé. Et vous avez raison, jamais nous ne pisserons pour eux et nous mourrons entiers mon cher. Jamais ils ne nous équiperons, de leur machine à pousser l'air. Confiance Denis, confiance mon ami, ils ne nous auront pas.

Lily s'assit sur les genoux du désespéré et lui raconta le quartier. C'est vrai, je vous donne raison, le nouvel ordre du marché veut nous brancher et nous débrancher à sa guise. Pour nous rendre esclaves, ils sont forts, et voyez pour l'apnée ... Elle rentre dans les têtes, à chaque inspiration. L'apnée vous tue répète la télé ! Sitôt la peur s'installe. L'apnée vous tue ! L'apnée vous tue ! Pareil pour la prostate ! Vous pissez une fois et vous êtes fiché. Si vous entrez dans leur boutique, vous êtes fait comme un rat, c'est bien là leur tactique. Ils sont forts, je le sais. Ah, je vous sens miné mon ange. Allé, rendez moi un sourire et donnez votre dos que j'aime à grattouiller. Denis comme un gros chat se mit à ronronner.

Sachez mon cher, que les épouses sont en alerte. Et dans toutes les rues l'apnée court à leur perte. Elles comptent. Entre deux ronflements, elles comptent, elles ne font pas semblant. Au secours, mon mari vient de dépasser les quarante. Vite, je n'en peux plus de compter ses apnées. Je n'en dors plus docteur, il me faut des antidépresseurs ! Ou la pilule à bien dormir. Allé. Je vous en prie docteur. Ils disent que c'est grave. La peur s'installe entre nous deux. Délivrez nous cette machine. Il nous faut la machine pour retrouver notre bonne vieille tranquillité. Docteur une ordonnance sinon je meurs. Une ordonnance. Allé ! Les épouses rentrent avec le papier, les pauvres hommes n'ont rien à dire, ils se soumettent à l'oppresseur !

Les trois premières questions du docteur sont très bien dirigées. Monsieur êtes vous plus fatigué que dans votre jeunesse ? Est ce que vous dormez bien ? Est ce que vous ronflez ? Et zou le processus est enclenché. Le patient se laisse mener. On dit que c'est pour sa sécurité. Et qu'il pourrait mourir d'arrêter de respirer. PAF. Il prend peur et il se laisse tout vérifier, de la glotte aux quenelles, jusqu'au bout du tunnel. Il se soumet à l'inspection, à toutes les interrogations et il attend les conclusions.

Denis Lucas, le ronfleur en surpoids, va-t-il bientôt recevoir sa belle machine ? Ne risque-t-il pas de s'emmêler les tuyaux ? Lily, la nuit, va-t-elle continuer à compter les apnées de son homme ? Va-t-elle faire chambre à part en comptant plutôt les moutons ? Et qui donc est l'auteur de ce texte inédit ?

Le suspens est total.
De quoi, en distillant par bribes, tenir le lecteur en haleine pendant au moins huit jours.
Mais ici on n'est pas des sadiques :
vous saurez tout dès demain, mercredi 26/02/14

Solutions aux énigmes d'hier :
-Ce texte inédit est signé Sainte-Iso (alias Régine Mary)
-Pour lire tranquillement la suite
et obtenir le texte d'un seul tenant,
il vous suffit d'en télécharger ici le pdf

 

UN COMMENTAIRE

-À 50 berges passées, j’affiche "une certaine surcharge pondérale", comme il disent, avec les ronflements et l’apnée du sommeil qui vont avec. Ceci ne m’empêche pas de prendre mon pied avec ma gentille Lily à moi. À croire que les femmes, avant de regarder ton bide, font d’abord attention à ce que t’as dans le ciboulot. Donc, de ce côté-là, c'est plutôt encourageant et c'est pas moi qui irais me plaindre.
La machine à creuser le trou de la sécu et, accessoirement, à respirer, je connais. J’en ai trimballé une pendant deux ans. Tu sauras, Sainte Iso, que ça soulage, même si t’as l’impression, chaque soir en mettant ton masque, de partir faire le brave dans les tranchées de 14-18.

Il y a peu, un copain m’a conseillé un truc bien plus performant : au lieu de mettre un masque à gaz, tu t’enfiles dans la bouche, avant de dormir, un dentier en plastique, préalablement trempé dans l’eau chaude pour le modeler à ta dentition. De petites languettes réglables éloignent de quelques millimètres vers l’avant ta mâchoire du bas de celle du haut. Ça suffit pour empêcher ta langue de bloquer ton pharynx. Plus de ronflements, plus d'apnée. C’est d’une simplicité enfantine. À la deuxième nuit t'oublies ton dentier. Si t’es catho, tu peux même le tremper avant usage dans l’eau bénite.
La marque c’est Oniris. Ça coûte 70 €. Sans ordonnance. C'est la raison pour laquelle ils n'ont droit, dans la pub, de ne parler que de ronflements, pas d'apnée. Non remboursable, évidemment, alors que ta nuit passée en observation à l'hôpital avant de te fourguer une machine, t'est totalement offerte par le trou de la sécu.
Quand tu demandes Oniris à ton pharmacien, il te fait de grands yeux. Aucun visiteur médical, aucun toubib ne lui en a parlé. Faudrait pas tarir la poule aux œufs d’or du système de santé, qui s’avance toujours masquée. Alors, devant tant de mauvaise volonté, tu te résouds à commander sur Internet.
Pour embrasser la Lily, tu peux enlever ton appareil quand tu veux. Pas plus compliqué que de lui enlever la culotte. L’est pas belle la vie, Régine ?
Laurent (Avec la complicité rédactionnelle de JK)