213 - INCREVABLE !

Sur ce blog, soyons un peu positifs  : un jeune designer français a conçu une machine à laver prévue pour durer cinquante ans. Histoire de lutter contre l'obsolescence programmée. Une machine qu'on peut enfin léguer à sa descendance (Et oui, je viens d'être grand père ! Salut Billy !)
 JK

Vous désespérez des aventures éphémères et rêvez d’une grande histoire avec un lave-linge ? La perle rare s’appelle «l’Increvable». «Si vous dites oui, c’est pour la vie», promet-il même. Bigre. L’objet, imaginé par le designer Julien Phedyaeff, est en fait conçu pour durer cinquante ans. Il s’agit de son projet de diplôme de fin d’études à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle Les Ateliers. Présenté en juin dernier, il a reçu les félicitations du jury avant d’obtenir un label de l’Observeur du design 2015, un prix organisé par l'Agence pour la promotion de la création industrielle.increv

«L’idée est née d’une recherche large sur les pratiques de démontage des objets pour mon mémoire de fin d’études, en 2013, explique le designer de 26 ans à Libération. Cela m’a permis d’explorer et de comprendre certains enjeux. Démonter est le premier pas qui permet d’être acteur vis-à-vis des objets, de se les réapproprier. Or, aujourd’hui, cela entre en conflit avec l’obsolescence programmée. Les plus difficiles à démonter sont les smartphones et les ordinateurs. Ils sont verrouillés par des vis à têtes spéciales. Mais les clips en plastique sur les cuves des lave-linge, qui permettent un montage rapide sur les chaînes d’usines, les rendent aussi quasi impossibles à démonter. Et donc à réparer. Du coup, personne ne le fait.»

Les pièces détachées, quand elles sont disponibles, le sont à un coût prohibitif. Julien Phedyaeff s’est amusé à voir combien lui coûterait le remplacement de quelques pièces essentielles d’un lave-linge actuel. «Cela valait une fortune, trois fois le prix d’achat, et encore, même pas pour une machine complète !»

Il aurait également pu jeter son dévolu sur le réfrigérateur pour lancer son projet. «L’Increvable est avant tout une sorte de marque, un concept qui propose une alternative à l’obsolescence programmée pour certains objets de grande consommation que je qualifie de stables, c’est-à-dire qui ont peu évolué au fil des décennies.» C’est le cas pour les machines à laver et les réfrigérateurs, pas pour les téléphones.

Pour concevoir son increvable lave-linge, Julien Phedyaeff s’est fixé plusieurs objectifs. Il fallait d’abord pouvoir éviter ces pannes dites irréparables – lorsque le coût de la réparation est proche du prix d’une machine neuve – qui obligent en moyenne à renouveler un lave-linge au bout de dix ans.

«L’idée était de faire une base saine, solide et améliorable, dit le designer. Une machine à laver aura toujours besoin d’un tambour, d’un hublot, d’un bâti en tôle, d’une cuve, d’une pompe, d’un moteur. Mais on peut proposer le choix entre un moteur standard et un moteur à induction qui coûte un peu plus cher, par exemple. Ou décider d’inclure un écran tactile ou pas.»

Livré en kit

Pas question de revenir à l’appareil ménager de grand-maman. L’Increvable est connecté. D’ailleurs, il peut crier au secours en cas de besoin de maintenance. Son heureux utilisateur pourra alors se rendre sur Internet pour apprendre à le réparer. S’il ne sait pas déjà le faire. Julien Phedyaeff prévoit en effet que son invention puisse être livrée en kit. «Cela permet de faire des économies en évitant les frais de montage, tout en apprenant à connaître sa machine. Et de réduire de 20% le volume de l’emballage». Pas de panique, il a aussi prévu le coup pour les non-bricoleurs, avec la possibilité de commander la machine montée ou de faire appel à un service d’aide au montage, qui «aurait aussi l’avantage de créer de l’emploi local».

Autre enjeu : alléger l’engin pour ménager ses lombaires pendant un déménagement. Le jeune designer a pour cela imaginé de remplacer les 30 kilos de lest en béton par un réservoir se remplissant d’eau lors de la première mise en service. Comme la mode évolue, même pour les objets, l’esthétique a été prise en compte. La machine est personnalisable, il suffit de changer la façade. Celle-ci est d’ailleurs pivotante, permettant de cacher le bac à lessive et les commandes. Quant au hublot, il peut être installé pour s’ouvrir à droite ou à gauche et ainsi mieux s’intégrer au petit nid de chacun.

Julien Phedyaeff a aussi pensé à la vie de l’objet dans la durée. L’Increvable peut s’adapter aux nouvelles normes ou aux évolutions techniques. Il a même prévu sa mort… et sa résurrection.«Les ressources de la planète sont limitées. Une tôlerie en métal, c’est de l’énergie, de la matière, pourquoi la détruire pour en faire une nouvelle ?» Plutôt la repeindre, voire la modifier, pour l’intégrer à une nouvelle machine. Idem pour le hublot en verre, «qui n’est pas censé casser».

Depuis quelques jours, le téléphone de Julien Phedyaeff n’arrête pas de sonner. Son concept plaît. «Comme je ne suis pas entrepreneur, j’étudie toutes les propositions de financement, d’accompagnement. Il reste beaucoup à faire, notamment pour définir la mise au point technique, car je ne suis pas non plus ingénieur. Par exemple, avoir un réservoir d’eau de 30 kilos pour lester la machine, c’est très bien, mais il faut trouver le moyen de garantir une étanchéité totale.» Pas encore de réaction des grands industriels de l’électroménager. Qui risquent de ne pas goûter l’initiative. Ou de vouloir la récupérer pour la vider de son essence.

Coralie SCHAUB (Libération)