78 - Tordues

Où sont passées les carottes tordues ?

    Nous les achetons bien droites, lisses et d’un orange brillant. Pourtant toutes ne poussent pas ainsi dans les champs. Les carottes sont victimes  d’un diktat : le calibrage. Les plus jolies finissent à la table des grands chefs, les « carottes moches » n’ont pas cette chance.carottes1     A genoux dans une parcelle de sable humide, courbés en avant sous le crachin matinal normand, Gilles et Chantal arrachent inlassablement des carottes. Ils suivent les marques laissées par les pneus d’un tracteur qui, quelques heures plus tôt, a retiré la couche de paille qui protégeait les légumes du gel. De ces lignes cabossées ressortent des pousses d’un vert acide, constellées de gouttelettes d’eau. Avec leurs gants en plastique épais bleu, ils les saisissent d’un geste sur. Ils soulèvent la carotte sans briser la fane et l’étudient d’un coup d’œil. Les tubercules qui ne sont ni tordues, ni divisées en deux, ni entaillées, ni trop tachées, ni toutes petites sont placées dans des boites en carton, bien alignées. Les autres sont abandonnées là, à même le sol.
    A quelques kilomètres de là, sur une autre parcelle de sable du Cotentin longeant la D650, surnommée la « route des carottes », Jean-Pierre Tirel fait vrombir son tracteur d’une main. A son passage, les carottes sont extraites du sol par dizaines. Privées de leur fane, elles remontent sur un tapis, s’entassent maladroitement puis sont déversées dans un conteneur. 50 tonnes sont récoltées par hectare cultivé. « Elles ont un assez gros calibre sur cette parcelle», commente Jean-Pierre Tirel en connaisseur - il récolte des carottes, 8 heures par jour, depuis 28 ans. Grosses, petites, tordues ou brisées, toutes les carottes quittent le champ direction le centre de tri.

 
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   Cinq catégories de carottes
    Stylo dans une main, téléphone dans l’autre, Alexandra Tirel, une femme fine au brushing parfait, inscrit rapidement une nouvelle commande en bas de son grand agenda. « On ne me demande que des carottes fines alors que des grosses arrivent sur la chaîne de tri », constate-t-elle, soucieuse. Il est 10h00. L’EARL Les Pins, l’entreprise familiale dont elle a repris les rênes il y a trois ans, propose à ses clients pas moins de cinq catégories de carottes en fonction de leur diamètre, de leur longueur et de leur aspect visuel. « Ce sont les mêmes graines, elles ont été plantées en même temps dans les mêmes champs et elles ont le même goût », précise Alexandra Tirel.
    Le 1er juillet 2009, un règlement européen a supprimé les normes de calibrage appliquées à la plupart des fruits et légumes, dont la carotte. L’objectif était entre autre de limiter le gaspillage. Cependant, « dans la pratique, on se rend compte que les opérateurs de la filière continuent de les utiliser », observe Céline Genty, présidente de l’Association carottes de France. « La commercialisation des fruits et légumes compte beaucoup d’intermédiaires, le calibrage permet d’avoir des critères pour évaluer la marchandise », justifie-t-elle. Pour Alexandra Tirel, c’est avant tout une question d’habitude, son père utilisait déjà les mêmes catégories.

    « 15% des carottes sont écartées »
    Derrière le bureau d’Alexandra Tirel, dans l’entrepôt, le bourdonnement assourdissant des machines résonne. Les carottes, une fois lavées, défilent sur d’immenses tapis roulants qui s’entrecroisent sur plusieurs niveaux. Une jolie carotte bien droite, de deux centimètres de diamètre, sans aucun défaut est attrapée par Natacha Marie. Elle rejoint dans sa main, une poignée de carottes identiques. Sa voisine, une carotte de près de quatre centimètres de diamètre n’a pas été retenue par Natacha, elle poursuit sa route et est saisie par une autre femme quelques mètres plus loin. Une troisième carotte, tordue, passe devant les yeux de la dizaine de salariés sans être sélectionnée. Elle finit son chemin propulsée dans un nouveau conteneur, direction l’étable pour nourrir les vaches du père d’Alexandra Tirel ou celles des voisins.
    D’après Alexandra Tirel, sur les 40 tonnes de carottes qui traversent, chaque jour, la chaine de tri de l’EARL Les Pins, six à sept tonnes ressortent sans avoir été sélectionnées. « 15% des carottes sont écartées de la commercialisation sur le marché du frais parce qu’elles ne rentrent pas dans les calibres », confirme Céline Genty. « Ces carottes sont données aux animaux ou peuvent trouver des débouchés dans la filière agroalimentaire en devenant de la purée ou de la soupe. Le consommateur final n’a quasiment aucune chance d’en trouver en magasin », conclut-elle.carottes3

    De son côté, la cagette remplie des carottes de Natacha Marie est estampillée d’une étiquette « diamantine ». « C’est la catégorie reine, une carotte zéro défaut », assure Alexandra avec fierté. Son père Jacques Tirel a déposé la marque dans les années 2000. « Elles sont magnifiques, brillantes, lumineuses », approuve le grossiste Thierry Marin, en découvrant la palette sur son emplacement du marché de Rungis à 4h30 le lendemain matin. En quelques heures, à coup de bousculades amicales et d’insultes affectueuses, il va vendre plus de 500 kilos de « diamantines » à des primeurs plutôt haut de gamme de la capitale ou à des acheteurs qui représentent des grandes tables, comme celles du palace le Georges V, deux étoiles au guide Michelin.

    La grande distribution responsable ?
    Les beaux produits de l’EARL Les Pins se retrouvent aussi sur les étals des supermarchés, là où 70% des ménages français achètent leurs carottes, selon une étude réalisée en 2012 par le Ctifl et Worldpanel Kantar. Au Min de Nantes, le grossiste Gilbert Guilbaud achète à Alexandra Tirel des carottes de « catégorie 1 », les soeurs des diamantines avec un léger défaut pour les revendre à un Leclerc de la région. « Ils exigent de beaux produits frais », affirme le gérant.
    « La grande distribution impose depuis des années, des critères esthétiques et géométriques à ses fournisseurs de fruits et légumes », accuse Bruno Lhoste, auteur  avec Tristram Stuart de La Grande (Sur-)Bouffe, Pour en finir avec le gaspillage alimentaire (Rue de l’échiquier, 2012). « Pour se justifier, elle explique que ce sont les seuls produits demandés par les consommateurs, mais en réalité elle les a éduqués à ne voir que des produits qui correspondent à ces standards et non plus à la réalité de ce qui pousse dans les champs ». Contactées à plusieurs reprises, les principales enseignes de grande distribution comme Leclerc, Carrefour ou Intermarché, n’ont pas souhaité faire de commentaires.
Des « carottes moches » en rayon
    Des carottes non calibrées, il est possible d’en trouver sur les réseaux de distributions alternatifs et minoritaires comme les AMAP ou les marchés bio. Mais face à ces étals de racines biscornues, les clients fouillent et sélectionnent les produits les plus rectilignes ! « Les clients vont naturellement vers des produits bien calibrés », constate Céline Genty, présidente de l’Association carottes de France.

    Une habitude qu’a aussi pu constater Marie-Sophie Ferté, responsable de l'Intermarché de Provins. Les 21 et 22 mars 2014, cette directrice engagée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire a proposé aux clients de son magasin 1 200 kilos de « fruits et légumes moches » à prix réduit, moins 30%. Passé les premiers tris effectués par les clients, l’intégralité de la marchandise a été écoulée. « L’initiative a été très bien accueillie par les clients, ils ont trouvé la démarche intéressante et citoyenne », se réjouit Marie-Sophie Ferté. Fort de ce premier succès, Intermarché souhaitait renouveler l’expérience le 8 mai 2014 mais l’événement a du être annulé suite à « une problématique d’approvisionnement », impossible de trouver assez de « fruits et légumes moches ».

Lola Palmier (Monde Académie)

Vous avez entre 18 et 25 ans. Vous êtres branchés journalisme sans forcément avoir fait une école de journalisme. Le Monde Académie a été créé pour vous faire la plume, avec un contrat de 9 mois à la clef. 69 admis en 2013-2014.
JK


COMMENTAIRES 13/06/14

-Ben voui, moi je faisais partie des carottes tordues !
Mes parents les pauvres ont tout fait pour me faire devenir une carotte droite !
Rien à faire ! ...
J'ai eu de la chance de pas être donné à manger aux vaches.
Comme ils y arrivaient pas, je m'suis dit, stop, je prends les choses en mains !
Je vais me faire plus droite que droite et  me suis fabriquée toute seule mon joli camp de concentration ... J'ai été en tête du peloton de la tyrannie personnelle pour atteindre ...
l'inaccessible étoile ! ! ! Le statut de la carotte parfaite !
Nos aventures en dogmatie, quel que soit le dogme, sont terrifiantes et hilarantes quand on en est sorti ! 
Avec les normes demain y aura pud place du tout pour les tordus comme moua qu'i veulent nous faire croire ... mais c'est pas vrai ! La carotte droite, la vache carrée, le cochon rond, le mec parfait, la fille sans défauts ... nan mèèèèèèèèè
ça ne va qu'un temps, qui peut croire ça, à part ... les cons parfaits ???
La nature est tellement belle et tellement imparfaite, on comprendrait si on la regardait.
Je hais l'excellence et la perfection !
Le monde est fou mais plus pour longtemps !
Iso

-C'est-y le monde qui n'en a plus pour longtemps ou sa folie ?
Dans les 2 cas, je doute.
JK

-La carotte des mousquetaires Intermarché elle bien bonne celle la !!!!!! droite, gauche tordu….., pfoufffffff
ITM est en passe de devenir le 1er groupe Agro Industriel Français et ses nombreuses usines « Monique Ranou, Petit Navire"  acheté  en promettant des marchés aux pêcheurs de Concarneau qui ont investi sur une flotte pour se retrouver 3 ans plus tard sans le marché de ITM qui les a racheté en dépôt de bilan pour « po de balle ». 
Et Oui Intermarché le Roi de la Carotte
Quand on est des prédateurs faut bien 1 magasin sur 500 pour se montrer exemplaire pour communiquer à la ménagère ALORS que toutes leurs usines exigent des produits calibrés à des prix non rémunérateur, achetés sur les marchés aux enchères internationaux.
Mousquetaires 1 pour Tous , Tout pour Moi
ST JEAN Bon