81 - Il se souvient

    Le sieur Huet, maire de Loudéac, vient de rattacher l’Office Municipal Culturel, jugé trop indépendant, directement à la mairie. Comme à Carhaix. Pas nécessaire d’attendre le FN pour faire régner l’ordre culturel des « grands cimetière sous la lune », variante bonnets rouges. Bientôt le couvre feu pour les mineurs et l'interdiction d'étendre le linge aux fenêtres comme à Béziers ?ubu
    À Loudéac même pas besoin, comme au Glenmor, de prétexter d’une baisse d’adhérents, puisque l’OMC n’a jamais enregistré autant d’adhésions qu’en 2013 (18 277 spectateurs au total). « Le but poursuivi est d'abattre toute structure, tout individu qui n'a pas le doigt sur la couture du pantalon. » a déclaré courageusement Francine Gentilhomme, la présidente de l’Office, en quittant la salle lors de l'AG, jeudi dernier.

    Le sieur Huet a révélé la raison de son acrimonie contre la présidente :
« depuis 2009, je reçois des scuds de sa part. Que ce soit l'humoriste Bernard Porte ou l'écrivain Jean Kergrist, invité du Salon du livre, qui m'ont dénigré. Quand on est censé fonctionner dans la sympathie, pensez-vous qu'on doit mériter cela. Nous ne pouvions rien lui dire. C'est elle qui détenait la culture. Les élus en ont pris plein la poire. À la fin, on en a eu marre. » (Télégramme de ce samedi 14 juin)

    Je suis très honoré de figurer, aux côtés de Didier Porte, comme artilleur de l’armada humoristique. En 2010, l’OMC avait organisé un concours de textes sur le thème « Je me souviens », à la Georges Perec. J’avais adressé ma copie à l’OMC. Je m’étais aussi permis de distribuer ce texte à mon stand lors du salon du livre (auquel par la suite je n’ai 
jamais plus été invité). La présidente qui « détient la culture » - belle expression qui en dit long sur la servilité attendue d'un rouage de transmission -, n’y était pour rien, pas plus qu’elle n’a dicté à Didier Porte ses piques humoristiques. Cela fait partie de la liberté d’expression la plus basique en démocratie. La présidente, en nous invitant, n'a fait que son travail.
    Mais le propos du maire, potentat local, a toujours été de faire taire
"tout individu qui n'a pas le doigt sur la couture du pantalon."  N'étant jamais nommé, il aurait sans doute aimé se reconnaître dans ce portrait humoristique d'un "tutoyeur bavard".

    Mon ordinateur ayant bugger, j’avais perdu ce texte. Un loudéacien bienveillant me l’a adressé hier. Puisque le sieur Huet a bonne mémoire et me tend la perche, ce serait le décevoir que de ne pas le faire circuler
à nouveau. Chacun y reconnaîtra les siens. Tant qu’à se faire des amis, allons-y gaiement :

JE ME SOUVIENS
-Je me souviens d’un tutoyeur bavard, qu’auparavant je n’avais jamais rencontré, me caressant l’épaule lors d’un salon du livre.
-Je me souviens du même, suant et soufflant, prenant le bras d’un présentateur télé pour faire croire aux enfants qu’ils avaient joué ensemble aux billes.
-Je me souviens, mais peut-être était-ce ailleurs et autre jour, d’un homme bouffi cramoisi, boudiné d’une veste trop étroite, passant micro à un écrivain célèbre comme s’il lui offrait sucette.
-Je me souviens, placé derrière lui, d’un autre, plus élégant, costumé d’un sourire carnassier, semblant tirer des ficelles invisibles et ne lâchant pas du regard sa créature libidineuse.
-Je me souviens que ce deuxième, qui devait sans doute être le premier, avait la mine inquiète, semblant se demander si les piles de son robot allaient tenir jusqu’au soir.
-Je me souviens avoir lu dans le journal, quelque temps plus tard, que ce même, s’appliquant à jouer au deuxième, fit monter son homme de paille à Paris pour lui remettre un diplôme dont j’ai oublié le titre, des mains d’un sous-ministre dont j’ai oublié le nom.
-
ubu2Je me souviens du jour où, au premier rang de l’assistance, un enfant de trois ans avait sorti sa quéquette pendant le discours du grand tutoyeur, s’asticotant avec application, alors que la maman, subjuguée par les mots tombés de l’estrade, ne prêtait aucune attention à son enfant tourmenté.
-Je me souviens que, du haut de la scène, le gros homme suant et soufflant, faisant semblant de ne rien voir du jeune travailleur manuel du premier rang, alors qu’il rêvait peut-être d’en faire autant.
-Je me souviens voir l’homme bouffi scruter soudain la salle, invitant une vedette cycliste à monter à ses côtés, le prenant par le bras comme pour lui offrir podium olympique.
-Je me souviens des auréoles sous ses aisselles.
-Je me souviens de sa lippe humide et gluante.
-Je me souviens de son regard posé sur nous, comme si nous n’étions qu’âmes mortes, réduites à merci pour être introduites sans manière dans son urne.
-Je me souviens de son ventre, tsunami graisseux déferlant du pantalon.
-Je me souviens d’un discours se terminant par des mots décisifs : « Je regarde ma montre qui me dit que l’heure tourne et qu’il me faudra bientôt conclure ».
-Je me souviens, sans être certain des détails, avoir lu dans un journal -quelques jours plus tard ou quelque temps avant, je ne sais- que ce tutoyeur bouffi avait dépêché la police au domicile d’un administré osant lui tenir tête, pour constater que son véhicule était mal garé.
-Je me souviens aussi qu’il refusa, malgré injonction du procureur de la République, de marier deux amants de couleur, les suspectant d’union de complaisance, jaugeant ainsi leurs cœurs à l’aulne rétréci du sien.
-Je me souviens avoir lu dans un journal -sans trop bien en avoir retenu les détails- qu’il refusait désormais de répondre à son opposition, qu’il allait faire dératiser la mairie et que les nouveaux trottoirs seraient désormais rectilignes pour en faciliter le nettoyage.
-Je me souviens, mais je ne sais s’il s’agit de rêve ou de cauchemar, d’un crapaud avalant fourmis, cafards, mouches, papillons et libellules passant à sa portée.
-Je me souviens avoir oublié si ces tourments se déroulèrent la même année en un même lieu, ou s’ils durèrent vingt ans et trois millénaires.
-Je me souviens -était-ce avec mon corps, était-ce sans mon corps, je ne sais- de Néron, Ceausescu, Mobutu, Peron, Boulanger, Bongo, Poujade, Berlusconi et Ubu.

Jean Kergrist (12 mars 2010)



COMMENTAIRES 18/06/14 et jours suivants

-Pour le Roi de Loudia récupérer l'OMC c'est dans l'air de se qui se profile avec une petite moustache carrée
Je me souviens d'un gentleman rrrurrrallll qu'aime bien taper sur l'épaule de tous ces copains même ceux qu'il connait pas
Je me souviens d'un gars qu'aime bien manier l'gallo d'loudia pour laisser accroire qu'il se comporte encore comme un gars de dlà qui fait pas d'chichis du moment qu'on dit comme lui
Ouais finalement JK ta peinture est réussite
je l'ai reconnu tout de suite
http://www.youtube.com/watch?v=MS8r3GFOBPo
Iso

-La mémoire me revient. Je me souviens aussi m'être inspiré de certains traits de cet Ubu pour brosser un personnage de roman : Chris Ratoustra, vidangeur, dans "Grosse déglingue", roman paru début 2012 chez Apogée (Rennes), collection Noire des ragosses. La scène de réception au palais des congrès, lors d'un salon du livre, d'une immense vedette cycliste s'y trouve intégralement décrite (pages 14-15). Faut bien prendre son inspiration là où on peut ! L'art du roman justifie tous les détours.
JK

-Effectivement, j'ai démissionné de l'OMC. Non que j'ai cédé aux invectives du Ménard local - invectives plus dégradantes pour celui qui les profère que pour celle à qui elles sont destinées - d'une part parce que l'asso passera en régie municipale le 31 décembre et je ne veux plus rien leur "donner", ensuite parce que le maire et sa ministre (Monique Collet adjointe aux affaires culturelles) n'ont apporté aucun élément, aucun argument sur les avantages de la suppression de la structure.
Je suis très sereine et plutôt fière d'être ainsi attaquée par des ennemis idéologiques.
Le combat culturel continue, ailleurs, dans des structures plus alternatives... Je ne lâche rien !
Pas d'insultes de ma part, pas de colère, juste du mépris pour lui et un peu de tristesse de constater la couardise de certains. Tous aux abris, surtout pas de vagues... Le grand méchant loup risque de nous avaler tout crus !
Hessel et tous les résistants dont notre "cher" maire se réclame et qu'il glorifie lors de cérémonies mémorielles, doivent se retourner dans leur tombe ! En fait tous ces couards n'obtiendront même pas la reconnaissance de leur maître ! Les pôôôôvres !!!!!
"El pueblo unido jamas sera vencido !"
Francine Gentilhomme

-J'ai adressé au Télégramme un droit de réponse légal. Aucune envie de porter le chapeau de la dissolution de l'OMC, ni de la diffamation de sa présidente. Ma mise au point a été publié ce
20/06.
JK