14 - Se faire Virer, mode d'emploi

12/03/2014 avec 2 suites + 2 commentaires le 15/03/2014

 

GreschnyDans la démarche qualité, traditionnellement, pour la grande élimination, l'extermination, ou la grande sélection, tu appelles ça, comme tu voudras, il existe un mode d'emploi. C'est important de le savoir. Le protocole est toujours très facile à comprendre. Il est basique. Primaire. Prévisible. Très con. On mesure dans ces grands moments, les finalités de la notation. La Qualité merdique ne vendant que de l'excellence, quand tout va bien, tu as une bonne note. Si tu es très obéissant. Mais jamais vingt sur vingt, non ! Il te faut une jolie marge de progression. Sinon, tu vas demander une augmentation ! Or, si tu demandes une augmentation, c'est que tu n'as pas de cœur. Tu veux ruiner ta boîte ! La réflexion est surprenante et autant dire inattendue, en effet elle surprend, la première fois, seulement la première fois, après chacun s'y fait, bien entendu. Rien à voir avec les augmentations successives des dirigeants. Rien à voir. Eux, ils sauvent ta boîte. Ils la sauvent la boîte, et ils se sauvent en même temps.

Donc, quand tout va mal dans ta boîte, la direction commence toujours par effectuer une première sélection. Or, pour mettre un peu d'ordre dans la maison, un seul mode d'emploi, avec deux solutions au choix. C'est à dire, deux types de placards. C'est pas compliqué. C'est binaire. Comme en informatique. La démarche qualité, n'a aucune, mais alors, aucune imagination. Elle est réduite à un tableau à deux entrées. Il faut bien le savoir, et le rapporter à la ronde, la qualité c'est pas sorcier, c'est binaire. Donc, aux fins d'extermination, sont désignées d'abord, les grandes gueules, les fortes têtes, habituées à s'exprimer en toute occasion. D'un coup, elles deviennent dangereuses pour la qualité. Si elles voyaient passer des trucs pas calibrés, sûr, elles feraient du foin. Attention !  Faut pas les garder, faut les éliminer en premier, c'est dans la démarche. La procédure est très simple à comprendre, puisqu'elle est binaire. Alors, le protocole classique de la torture légalisée est toujours le même. Il ne présente aucune originalité. Il suffit de l'apprendre, on peut s'y préparer.

Adam et Ève chassés du paradis
(fresque de Nicolas Greschny dans l'église de Chatel-Guyon -63)


La recette est facile à réaliser. Nous sommes des milliers à l'avoir expérimentée. Du côté des salariés, et du côté de la direction. Première étape, convoquer la personne et essayer de l'impressionner. Le faire toujours, avec un air grave et important. Comme au conseil de discipline, à l'école primaire, au collège, au lycée, à la pension ou à l'armée avant. C'est toujours la même chose, depuis la nuit des temps.

Pour une fille, lui demander à l'avenir d'être avant toute chose, plus discrète, et accessoirement si elle résiste, on l'attaquera sur la pertinence des dossiers traités. Elle comprendra que désormais elle devra fermer sa gueule poliment sinon, la porte... Discrète, c'est toujours le terme employé pour une fille. Elle est gentille et si discrète ...

Pour un  garçon, lui demander dorénavant, d'être plus compétent. Donc de la fermer, à l'avenir il la bouclera  sinon...

 Là, ce n'est pas nouveau, à l'école comme au boulot, on connait le truc depuis la maternelle, les filles doivent être discrètes et les garçons compétents.

 Si la personne répond que oui à l'avenir elle sera plus discrète, PLACARD Numéro 1.

Si la personne répond que non c'est un manque de respect total, PLACARD Numéro 2.

Idem pour l'autre con, le compétent ...

On se frotte rarement dans la vie à l'égalité des chances ! Quand on la croise on s'en souvient, évidemment. Là, quelle que soit ta réponse, le placard t'attend. Égalité partout, c'est pas souvent.

- suite au 13/03/2014 :


PLACARD Numéro 1 :

eveLa personne à éliminer est mise en difficulté par rapport au temps
La personne est noyée de boulot
Elle passe sa vie au bureau et en déplacements
Le grand débordement
Elle est submergée
Plus de vacances
Plus de repos
Trop de coups de fils
Trop de dossiers
Trop de mails
Trop
Trop
Trop

Régulièrement, le supérieur exterminateur volontaire, torturant, te passera un coup de fil en disant, comment ? Comment, tu n'as fait que ça aujourd'hui ? ! ! !  Mais tu dors où quoi ? La personne assaillie, réduite à moins que rien, restera bosser la nuit. S'épuisera. Ruminera. Perdra le sommeil. Perdra la notion du temps. Perdra l'estime d'elle-même. Passera aux médicaments. Ses collègues lui diront, attention, tu travailles trop. N'en fais pas tant. C'est pas normal. Mais par perfectionnisme et instinct de survie professionnelle, la personne employée depuis longtemps ou pas, voudra y arriver consciencieusement. Au fond d'elle-même, elle saura, qu'elle n'y arrivera pas. Mais elle essaiera quand même, ce sera plus fort qu'elle. C'est une question d'amour propre, c'est totalement illogique, mais c'est comme ça, et ça rend fou. Donc, ça fonctionne très bien. Très très bien. L'humiliation produit toujours les mêmes dégâts. Et la question du sens n'est jamais débattue dans ce genre de situation. Puisque la situation est absurde. Tout cela n'a pas de sens, en effet. Mais tout cela est admis. C'est donc que tout cela est permis. Et quand arrivera le jour de la notation, le crayon bifurquera sur la gauche, comme sur le compteur de la voiture de fonction. Tout sera prévu. Non, là franchement, tu m'obliges, tu m'obliges à te mettre une sale note. Tes dossiers, c'est n'importe quoi. Tu es trop lent, beaucoup trop lent, on t'a connu autrement avant, si tu as des problèmes dis-le ou mets-toi en arrêt. L'équipe a besoin de personnes dynamiques. Tu es un frein pour toute l'équipe maintenant. UN FREIN.

Pour en finir quatre solutions

1. La personne tombe malade. Arrêt maladie. Longue maladie.
2. La personne se suicide. Enterrement. Le pauvre, il était fragile et des soucis de famille peut être, depuis quelques temps.
3. La personne claque la porte. S'il lui reste des forces, Prud'hommes.
4. La personne a compris. Vite, elle négocie son départ. Mais, c'est pas gagné pour autant.

Photo de gauche : vitrail de l'église de Chatel-Guyon : Ève cueillant une sale note la pomme (détail).

- suite au 13/03/2014 :

PLACARD Numéro 2 :

La personne à éliminer est mise en difficulté par rapport au temps
La personne n'a plus de boulot, plus aucun déplacement
On la dépossède de ses outilscorbu
Consignes de ne plus l'appeler
Le grand dénuement
Le grand isolement
C'est le grand vide
Elle n'existe plus
Les appels sont déviés
Plus un coup de fil
Plus un dossier
Plus un mail
Rien
Rien
Rien

Adam et Ève, dessin de Le Corbusier
La situation est différente. Le grand vide est insupportable. Mais la personne au départ a dit non. Elle a désobéi. Pas bien. Elle a osé dire non, ne me demandez pas d'être à l'avenir plus discrète. Ou alors, dites-moi quand et pourquoi j'ai manqué d'indiscrétion. Elle a dit non. Ne me demandez pas d'être plus compétent. Je le suis. Je suis responsable et connais parfaitement mes dossiers. C'est pour cela qu'on  bosse ensemble depuis vingt ans. Elle a bien eu conscience en répondant NON, qu'on allait la virer. Seulement, la peur ne l'a pas dominée. Elle n'a pas perdu son estime d'elle-même. Mais pour autant, elle est suffoquée, perdue, de constater à quel point nombre de ses collègues, vont accepter sa quarantaine par peur, et  jouer le jeu de la direction. Ici, la peur, c'est la peur de la contamination. C'est effrayant, de n'avoir rien à faire. De savoir que quelqu'un n'a plus rien à faire. D'accepter d'être payé à rien faire, c'est absurde. Absurde. C'est aussi absurde que  d'accepter trop de boulot. Mais c'est plus clair. Pas obéissant. Puni. Plus rien à faire. C'est basique et primaire effectivement. Le jour de la note, on lui dira, tu n'as rien fait depuis des semaines. En plus, tu n'as même pas pété les plombs. C'est donc que tu n'es plus une personne motivée. On ne va plus pouvoir te faire confiance. On ne va pas pouvoir te garder. C'est de ta faute. Tu n'as rien fait tout simplement.

Pour en finir quatre solutions

1. La personne tombe malade. Arrêt maladie. Longue maladie.
2. La personne se suicide. Enterrement. La pauvre, elle était fragile et des soucis de famille depuis quelques temps certainement.
3. La personne claque la porte. S'il lui reste des forces. Prud'hommes.
4. La personne a compris elle négocie son départ. Mais c'est pas gagné pour autant.


Et voilà, rien de bien original ma foi, dans tout cela. La qualité c'est comme ça. Les temps sont cruels pour tous les salariés. Rien de nouveau non plus. Evidemment, dans l'entreprise la torture est admise, oui mais cela ne se dit pas. La souffrance est de mise, et la cruauté, parfaitement tolérée. Et puis surtout, l'absurdité très bien employée et souvent, car l'absurdité est un ressort du fascisme, qui séduit toujours les dominants. C'est une arme si facile à utiliser, qu'elle n'exige pas d'être intelligent, bien au contraire, même si elle requiert un certain talent. C'est un bel instrument de démolition l'absurdité, finalement, c'est l'arme propre, la favorite des autorités. Aucun raisonnement ne tient en face d'elle, c'est pour cela, justement, qu'on lui fait si souvent appel. Et comme l'absurdité rend fou,  c'est pratique. Elle balance les salariés par la fenêtre ou elle les fait se pendre ou bien sauter du pont. Dans le travail comme dans la vie, le bon sens est un luxe aujourd'hui, le bons sens et puis le respect d'autrui, se font de plus en plus rares hélas, c'est déplorable, mais c'est la réalité. Autant le monde du travail vous porte, autant aussi, il vous détruit et peut vous diviser.

Si vous passez un jour par le Sanibroyeur SFA, ne restez pas seul. Faites vous aider. Parlez. Racontez. Prenez le micro si vous pouvez. Prenez bien soin de vous entourer. Gueulez. Manifestez. Tapez des pieds. Serrez-vous les coudes. Exprimez-vous. Ne restez pas les bras croisés. Et donnez un sens à tout cela. Rappelez-vous avant tout, que l'amitié donne accès au bon sens et produit toujours les mêmes effets libérateurs. Et en dehors de votre boîte, n'oubliez pas qu'il y a les syndicats pour vous aider à y voir clair, les prud'hommes, l'inspection du travail, le CHSTT... C'est vrai, il faut encore être en forme pour pouvoir les solliciter, et ça ne marche pas à tous les coups, mais un licenciement n'est jamais dû à la fatalité, alors faut y aller, au moins pour comprendre ce qui vous est arrivé, et le code du travail n'est pas encore enterré. On l'espère.

En tout cas, n'oubliez pas le mode d'emploi.

Qui que vous soyez, il pourra vous servir, quand votre tour viendra.


Régine Mary (ex Sainte Iso)

 

 

UN COMMENTAIRE le 15/03/2014

Régine est du genre plutôt rigolote. Mais elle a dû beaucoup souffrir au travail. Peut-être dans une vie antérieure. C’est sans doute ce qui lui a fait choisir son pseudo de Sainte Iso. Comme isolée, isolation, isolateur, qui caractérise la femme électrique.
J’ai eu plus de vaine (ou de veines ?) qu’elle. 50 ans à faire le métier de comédien et d’écrivain, et pas l’ombre d’un petit chef. Une seule fois malheureux au boulot : un copain, qui donnait dans l’évènementiel, avait cru pouvoir faire avancer la cause antinucléaire en faisant venir le clown atomique à une remise de cartes de retraités CGT de l’EDF. Pas pu placer un gag. J’ai compris ce soir-là ce que les copains artistes appelaient cachetonner. « Faut bien gagner sa croûte ! ».
Très peu pour ma pomme. De mai à mai fait ce qu’il te plait. Soupe aux pissenlits, orties, chiendents  et riz complet nourrissent très bien son homme. Si besoin. Sans doute quelque chose comme la « sobriété heureuse » prônée par Pierre Rabhi.bonheur   Désormais au courant de la démarche qualité par Régine, j’en sais un peu plus sur le régime du travail dans l’entreprise. Je me demande d’ailleurs si cette histoire de normes n’a pas commencé très tôt. Une affaire de calibrage de pommes dans un jardin. D’où mes illustrations d’Adam et Ève, victimes de la punition originelle : « tu gagneras ton pain complet à la sueur de ton frontispice ».


Adam et Ève avant la chute
(fresque de Nicolas Greschny)

Le boulot, c’est avant tout punitif. L’employé modèle, c’est celui qui chaque jour montre à son patron qu’il souffre. Pas de rédemption sans souffrance.
Ils appellent ça la Condition Humaine. Et ils t’écrivent des pages et des pages pour distiller leur amertume, de Claudel à Camus, de Sartre à Kierkegaard en passant par
Groucho Marx ou Heidegger. Pas des rigolos tous ces écrivains d’entreprise ! Va t’étonner ensuite quand l’employé modèle de Leroy-Merlin te fait la tronche en te vendant une clef à molette. Son patron l’observe à la caméra cachée et l’employé a intérêt à bien lui montrer qu’il souffre s’il veut justifier sa paye mensuelle.

« Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie que l'argent, mais il faut tellement d'argent pour les acquérir. » (Groucho Marx) « Le bonheur n’a pas de prix »… etc. L’Occident chrétien n’a trouvé que la consommation et la souffrance comme réponse à l’interrogation sur sa destinée. Une souffrance liée à la faute. Une invention du Père Fouettard et de son Fiston, apôtre de la soumission, qui, à coup de Béatitudes évangéliques sur la montagne, punit les méchants (ceux qui sont heureux) et magnifie les bons (ceux qui souffrent).
Une aubaine reprise dare-dare par la plupart des politiques. Promesses d’eau chaude et d’eau froide à tous les étages. Soldes monstres au rayon farces et attrapes. Et bonheur universel pour après-demain. À condition, bien entendu, d’accepter d’en baver un max avant. 

Et si le bonheur était déjà là ? Malgré eux. Dans le pré, cours-y vite, cours-y vite.
« J’ai décidé d’être heureux, parce que c’est bon pour la santé » (François-Marie Arouet, dit Voltaire)
JK
(Heureux ! Comme Fernand Raynaud, qu’on retrouvera bientôt sur cette page.)


LA RÉPONSE de Sainte Iso
15/03/2014

Et bien, non je n'ai pas souffert au travail, car j'ai correspondu
fourmi

pendant 33 ans au profil type de la fourmi  heureuse, et productive
qui travaille dans la joie et retrouve ses copines pour rigoler
chaque matin, en travaillant comme une damnée pour
le salut de mon âme ... et surtout celui de ma direction !
Et payer les traites de ma maison comme chacun fait.
 
Et puis un jour, j'ai été virée en premier, faisant partie des grandes
gueules non formatées !
 
J'aurai plaisir à vous conter si cela vous intéresse, la mort du
Crédit Immobilier de France, un vieux monsieur à l'agonie !
En attendant voici l'éloge de la fourmi heureuse que j'étais :
 
"Il était une fois une Fourmi productive et autonome qui travaillait dans la bonne humeur et surtout très efficacement chez Frelon & Cie.
Le Frelon (enfin, le fils du créateur… "Frelon Junior"), qui est le PDG ambitieux de l’entreprise où travaille notre laborieux insecte, décida qu’il était temps de donner une plus grande ampleur à son activité (un "coup de pied dans la fourmilière"), et il créa sur le champ un poste de manager (la Coccinelle) pour organiser le travail de la fourmi.
La Coccinelle ne pouvait occuper un poste aussi prestigieux et avec autant de responsabilités sans l’aide d’une secrétaire compétente (l’araignée). Elle fut donc embauchée pour l’aider dans la préparation des nombreux projets d’amélioration proposés par ce jeune cadre dynamique.
Suite aux rapports pléthoriques et si pertinents de la Coccinelle, le PDG demanda la simplification de sa tâche de lecture en rédigeant des analyses plus synthétiques. Comble du raffinement, il exigea que l’on mette en place les sacro-saints tableaux de bords que toute entreprise dynamique se devait d’avoir. Tableaux de bords où devraient figurer, en très gros, "les fameux indicateurs d’activité" témoins de la croissance tant attendue…
1er résultat : l’embauche pour cette tâche complexe d’un cafard au poste de contrôleur de gestion.
Étrangement, notre fourmi heureuse commença à perdre en qualité de travail et en productivité. Pire, elle se plaignait. Que disait-elle pour expliquer son absence de résultats ? "J’ai trop de paperasserie et de réunion à faire et pas assez de temps pour travailler." Quelle ingrate !
Le Frelon, PDG au courage et l’intelligence indéniable, n’écouta pas les cris* du triste insecte et créa très logiquement le poste de chef de service (la Cigale) pour superviser, au plus près, la fourmi rétive.
Suite à ces nombreuses embauches, il fallut investir en moyens nouveaux (locaux, véhicules, ordinateur, serveur réseau, etc… ) et surtout bien  les gérer et on assistât à l’avènement tant attendu des services supports,  sans lesquels une entreprise ne peut être moderne : communication, marketing, logistique, RH (?) et qualité évidemment…
Pendant ce temps-là, la fourmi était de moins en moins heureuse et  productive. Les arrêts maladies se succédèrent et son état tant physique que psychique se dégradait à vue d’œil.
Frelon junior, n’étant pas insecte à baisser les pattes, se rendit compte de la dégradation de la rentabilité et eut l’idée de faire appel aux services d’un consultant, M. Hibou (et Émeraude RH alors ?) pour un diagnostic généralisé qui préconisa comme très souvent une réduction drastique des effectifs.
Qui fut la 1ère victime du plan de licenciement ?… La fourmi évidemment !"

Pas de moralité à cette fin tragique que nous sommes des milliers à expérimenter !
Vivez si m'en croyez n'attendez à demain

Ste Iso

avec l'aide de Philippe Escande : (Manuel de survie dans un monde complexe) et de Emeraude-rh