10 - De quelle violence ?

D'abord, pour se mettre en train, dès qu'il sera podcastable, le billet génial de François Morel, ce matin sur France Inter : Notre Dame des bulldozers

 

 

1-Notre-Dame des Landes : ni travaux, ni expulsions ! Nous serons là !
Communiqué de presse Attac 44  le 27 février 2014

crsAttac 44 et Attac France saluent l'extraordinaire mobilisation paysanne et citoyenne du samedi 22 février à Nantes, avec la présence de plus de 500 tracteurs et de dizaines de milliers de manifestants. Il s'agit de la plus importante manifestation jamais rassemblée contre le projet d'aéroport depuis le début de la lutte.
Attac, en tant qu'association d'éducation populaire tournée vers l'action, se reconnaît pleinement dans la stratégie menée sans faiblesse depuis plus de 10 ans par les paysans, l'Adeca, l'Acipa et la Coordination. La construction du rapport de force contre les bétonneurs y résulte de la mobilisation des citoyens, qui s’appuie sur trois piliers : l'action d'information et d'analyse, renforcée par la construction d'une expertise citoyenne exemplaire ; l'action judiciaire ; l'action politique. Sur le terrain toutes les composantes de la lutte coopèrent dans une résistance acharnée contre les expulsions et les destructions. Fidèle à son engagement altermondialiste, Attac soutient partout la lutte des paysans et des citoyens en défense des terres nourricières, et particulièrement à Notre-Dame-des-Landes.
Ce projet prétend s'imposer dans une extrême violence aux paysans et aux habitants, en dégradant de façon irréversible le cadre de vie et l'environnement. Pour discréditer un mouvement de plus en plus puissant et reconnu, les porteurs du projet et le préfet ont choisi de mettre en scène de nouvelles violences, par le biais de provocations comme l'interdiction du parcours en ville, et par l'orchestration soigneuse de « dérapages » dans la manifestation, occasionnant des blessures graves. Non seulement nous condamnons ces violences, mais nous constatons que bien des questions sur le déroulement de cette manifestation devront recevoir des réponses et nous les exigerons.
Dans son combat pour d'autres mondes, pour la transition écologique et sociale, Attac soutient les auteurs d'actions de désobéissance civile assumées et largement reconnues comme légitimes même si elles peuvent être illégales. Le président de la Région Pays de Loire, J. Auxiette, a demandé hier au président de la République d'ordonner l'expulsion de la ZAD au nom de soi-disant "habitants qui subissent les violences, les vols, le racket orchestrés par les “zadistes” ». Cette nouvelle provocation ne nous intimide pas. En cas de nouvelle tentative de vidage de la zone, nous poursuivrons avec acharnement la résistance sur le terrain, ensemble, dans le respect de nos valeurs. Nous ne serons pas les initiateurs de la violence, bien que prêts à l'affronter.
Ni travaux, ni expulsions. Nous serons là.



2-Les provocations de samedi ont mis en danger les manifestants et affaiblissent la lutte.
Extraits d'un texte d'Hervé  Kempf, paru dans reporterre.net

La manifestation prise en otagepistolet
On ne saurait dire si ce type de proclamation est très utile. Mais dans un contexte où le pouvoir a cédé plusieurs fois face aux manifestations – qu’il s’agisse de l’écotaxe ou de la loi sur la famille -, il serait paradoxal qu’il vienne tenter d’affirmer une autorité vacillante en réoccupant la Zad de Notre Dame des Landes. Il n’en reste pas moins que cette afffirmation violente a fait reculer la lutte auprès de l’opinion publique. Celle-ci est globalement neutre sur ce projet d’aéroport, et plutôt en empathie avec les opposants. Mais les images de pavés lancés par des jeunes gens camouflés et de bataille de rue n’ont certainement pas fait pencher la balance du bon côté. Et d’autant moins que cette violence a un sens politique douteux : autant elle peut avoir un sens quand il s’agit de se défendre face à une invasion policière, autant elle perd de sa force quand elle se projette en provocation.
Elle a de surcroît pris en otage la manifestation. Quand il y a des débordements, c’est généralement dans les fins de rassemblements qu’elles se produisent. Le fait d’avoir lancé les hostilités à l’égard de la police dès 15 h, au milieu de la foule, alors que des familles, des enfants, avançaient calmement et joyeusement, n’a pas seulement gâché la fête et volé le message que le gros des manifestants voulait porter, elle les a mis en danger. C’est inacceptable. Pour autant qu’une vision du monde anarchiste – refusant la hiérarchie, prônant la démocratie directe, célébrant l’autonomie – inspire beaucoup de ceux qui ont préparé et opéré la provocation dangereuse et fautive de samedi, il faut rappeler que la libre volonté de chacun doit s’harmoniser avec l’utilité collective et avec le bien commun. Sinon, elle n’est qu’une forme de narcissime qui ne vaut pas mieux que l’égoïsme capitaliste.
Le mouvement de lutte contre Notre Dame des Landes doit réfléchir et assumer pleinement ses responsabilités : anarchistes, citoyennistes, paysans, écologistes, zadistes, et opposants de tout poil ne gagneront la bataille que s’ils restent unis et évitent une violence stérile. Le but premier n’est pas de déclencher « l’insurrection populaire », mais d’empêcher la réalisation d’un projet absurde et de mettre en œuvre des modes de vie différents, anticapitalistes, écologistes et émancipateurs.

 

3-Assumons le tragique !
La réponse de Fabrice Nicolino à Hervé Kempf
(Extraits de sa lettre ouverte)

Si la cause de Notre-dame-des-Landes apparaît désormais comme sacrée aux yeux de milliers de personnes, c’est aussi et peut-être surtout parce que les zadistes ont su mettre une touche de tragique dans les événements. Oh ! j’entends déjà les ricanements. Du tragique, maintenant. Eh bien, j’assume. L’histoire des hommes est tragique et il arrive - hélas - des moments où l’on est contraint de s’en souvenir. En faisant monter les enjeux, en montrant clairement qu’ils étaient prêts à payer un prix plus élevé que d’habitude, les jeunes de la ZAD ont dessiné les contours d’une lutte véritable. Où l’on prend des risques, où l’on reçoit des coups, où l’on en donne, où bien des choses désagréables peuvent arriver. Dont la prison, au mieux. Sans que personne n’ose le formuler à haute voix, c’est l’odeur de la mort qui explique pour partie la nature de la mobilisation en cours. Que cela se vérifie ou non - j’espère de toutes mes forces que cela ne sera pas le cas -, le pouvoir, ses pseudopodes, ses affidés, et nous tous d’ailleurs avons compris que tout cela était sérieux. Que des affrontements pouvaient conduire à la mort de certains. Qu’il existait une limite à ne pas franchir, faute de quoi, ce serait l’irréparable. Les zadistes ont montré et montreront probablement qu’ils sont des combattants de première ligne. Pas des héros de bande dessinée. Pas des vedettes de cinéma à qui il faudrait demander un autographe. Non. Des fantassins dans une guerre désormais inexpiable entre ceux qui se couchent, profitant des dernières miettes du festin, et ceux qui continuent à dire non.
 L'’impensé radical de ce temps, Hervé, c’est celui de la violence. Nous voudrions, je voudrais moi le premier que nous sortions de ce cauchemar sans qu’aucune férocité ne soit nécessaire. En espérant contre l’évidence que rien n’est inévitable et que si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main, ce serait mieux pour tous. Mais tel n’est visiblement pas le cas. Cracher aujourd’hui sur les encagoulés de Nantes, c’est s’interdire demain de réfléchir aux moyens de changer l’ordre des sociétés humaines. Je suis navré de te le dire, mais à mes yeux, en prenant ce parti, tu fermes une porte massive, qui ouvre pourtant sur un débat vital. Jusqu’à quel point accepter ? Jusqu’à quel point retroceder, comme on dit en castillan ? Jusqu’à quel point perdre ? La question de la violence est fondamentale. Pour ce qui me concerne, j’estime être non-violent. Nullement par inclination, mais grâce à une réflexion étendue sur des décennies. Je pense que les jeunes de Nantes ont été gravement utilisés par nos adversaires habituels, à qui, soit dit en passant, tu rends toi aussi un signalé service. Car avec des points de vue comme le tien, il est clair qu’il deviendra peut-être impossible de manifester à Nantes ou ailleurs, comme le dit d’ailleurs sans détour l’impayable François de Rugy. Mais je reprends : la violence de samedi dernier aurait dû selon moi prendre d’autres formes, qui demeurent, je le reconnais, à imaginer. Comme elle s’est déployée, elle répète inutilement les formes passées, permettant aux pouvoirs coalisés de la présenter sous l’apparence ordinaire du désordre. Elle s’inscrit dans un schéma mental qui permet toutes les manipulations. On vient masqué, on casse, on se tire, on est des vilains, on est des vilains Allemands.à terre
Je n’ai pas l’air, mais je suis contre la violence. Elle a fait un mal immense à tous les projets de transformation sociale, car elle permet tôt ou tard l’éclosion de corps spécialisés qui s’arrogent peu à peu tous les pouvoirs. Elle est fondamentalement un pouvoir, et ceux qui ne parlent pas sa langue devront finalement s’y soumettre. Je suis contre la violence, mais je sais que nous avons un besoin essentiel de la force, de l’énergie, de la détermination qu’elle contient. En somme, je crois qu’il faut la chevaucher en espérant la maîtriser pour la mettre au service commun. C’est une utopie, j’en conviens, mais elle est plus conforme à ma morale personnelle que la condamnation vertueuse des si modestes barricadiers de Nantes. Enfin, et je me répète encore, encore et encore : quand débattrons-nous ? Quand pourra-t-on en parler, autrement que dans l’urgence ? Il est bien étrange de prétendre d’un côté que le monde est tenu par des oligarchies tournant le dos à leurs peuples et à la démocratie, et d’attaquer de l’autre 500 jeunes exprimant à leur façon leur profond dégoût d’une société humaine en déroute.
PS : Au fait, qu’est-ce que la légitimité ? Il y aurait un mouvement estampillé, sérieux, obéissant à la raisonnable raison, et puis la chienlit ? Il y aurait les vrais opposants et les autres ? Il y aurait les gentils zadistes qui font des maisons dans les arbres, refusent l’argent, plantent des carottes, et les affreux Black Blocs, ces « anarchistes allemands » de toujours ? Il n’y a qu’un mouvement, le nôtre. Les zadistes sont des nôtres. Les jeunes encagoulés sont des nôtres.

 

UN COMMENTAIRE

 

-Quelques réflexions autour de la notion d'"Ahimsa"...
de Gilles Knopp

 

Le Sanskrit, on peut pas seulement le traduire en Français, y faut aussi s'interroger sur le sens originel du mot et son contexte.
En occident, la "non-violence" fait immédiatement référence à Gandhi, un type borné et obtus, sans aucune vision politique ni historique, qui est au moins co-responsable des centaines de milliers de morts qui ont suivi la partition de l'Inde entre 46 et 48. Pour un apôtre de la non-violence, ça la fout mal !
L'Ahimsa c'est aussi et surtout un des multiples éléments constitutifs d'une démarche yoguique : "Absence de peur, tempérament pur, fermeté dans le yoga de la connaissance, bienfaisance, maîtrise de soi, sacrifice, étude des Ecritures, ascèse, candeur et droiture, non-violence, sincérité, absence de courroux, abnégation, calme, absence de critique, compassion pour tous les êtres, absence de convoitise, douceur, modestie, absence d’agitation, énergie, miséricorde, patience, propreté, absence d’envie et d’orgueil, telle est (...) la richesse de l’homme né en la nature dévique." (dévique dans le sens de Déva, qui se rapporte au Divin)

 

La Bhagavad-Gîtâ (trad. Camille Rao et Jean Herbert, d'après la traduction anglaise de Shri Aurobindo)

 

EGandhit dans la Bhagavad-Gitâ, donc, l'épisode de la bataille de Kurukshetra nous renseigne sur la légitimité de la violence.
Pour résumer quelques milliers de pages, le Roi Arjuna (le gentil) arrive sur le champ de bataille, son char de guerre conduit par Krishna, lui-même en personne.
Dans le camp d'en face, les méchants ! Mais Arjuna découvre qu'ils sont aussi membres de sa famille, cousins, oncles, neveux, proches parents, même d'anciens précepteurs... Donc, comme c'est un gentil, il se dit : "merde, je peux quand même pas tuer tous ces gens qui sont plus ou moins mes frangins !" Il pose son arc et se prépare à se faire massacrer avec tout son armée. Heureusement, là-dessus, Krishna lui explique ce qu'est la Loi du Dharma (en gros, le devoir de faire ce qui est juste). Arjuna ne convoite pas le pouvoir pour lui-même, mais pour apporter paix et prospérité à son pays, alors que les autres en face, ils ne pensent qu'à s'en mettre plein les fouilles. Donc le deal en gros c'est : soit tu fais ta mijaurée et tu te fais buter sans résister, s'ensuivra une période de pillage et de chaos on sait pas pour combien de temps, soit tu te reprends, tu respires un bon coup et tu y vas, tu leur mets la pâtée et ensuite, mais ensuite seulement, tu pourras gracier les survivants si tu tiens à être grand et magnanime...
Donc, tout ça pour dire que l'Ahimsa n'est pas un but en soi, c'est un moyen d'action mais qui n'a guère de sens si on cherche à le dissocier des autres pratiques du Yoga.
Et donc pour conclure et en revenir au microscopique et anecdotique (quoique significatif !) cas de figure de NDDL, quel comportement adopter pour faire face à la violence politique qui impose par la force un projet débile et destructeur, en définitive au service des seuls intérêts financiers des gros actionnaires de multinationales cupides et avides ? Que faire ? Rien !
Puisqu'ils agissent au nom de l'Intérêt Général, dans le respect des procédures légales et démocratiques, avec le concours obligé des forces de l'ordre et l'assentiment de la majorité silencieuse des bien-pensants qui n'aspirent qu'à être confortables et pépères...
Mais si on ne fait RIEN, il faut décider de le faire tous ensemble et en même temps sur une durée assez longue pour que ça commence à faire flipper "en haut lieu". (mais vraiment tous ! En tous cas, une bonne masse critique ! au moins 5 à 10 fois plus nombreux que les bonnets rouges !).
L'Ahimsa n'a de sens que s'il s'accompagne du boycott et de la non-coopération. Donc, faut tout arrêter ! On commence par "les distractions" tellement indispensables à la lobotomie ambiante, (la télé, la radio, les journaux, le cinoche, le net, les restaus...) et si ça suffit pas on poursuit avec le facultatif (la bagnole, le boulot...) et l'indispensable ( les courses alimentaires...). Quand 100 000 personnes seront en grève de la faim après une semaine de paralysie du pays, y'aura plus d'aéroport.
Oui ben je sais, mais c'est rien d'autre qu'un avis...

Le "Gandhi Warholl", illustrant ce commentaire, est de Gilles Knopp