18 - Drôles de drones

Le cri de l'épervier ou le chant de la grive musicienne seront-ils bientôt remplacés, dans nos campagnes, par le bourdonnement entêtant de drones téléguidés ? Ces véhicules aériens, apparus dans les années 1990, ne sont plus seulement des engins prisés par les militaires pour surveiller, et le cas échéant, donner la mort, au moyen de frappes ciblées, dans des zones de conflit et d'infiltration « terroriste » comme à Gaza, au Pakistan, en Afghanistan, ou bien encore au Mali. Les drones sont maintenant utilisés de plus en plus dans le domaine civil et partent à la conquête du monde agricole. épervier
Une campagne de promotion et de commercialisation semble avoir été lancée à l'occasion du salon de l'agriculture 2014 dans le cadre d'un plan média remarquablement relayé par toutes les grandes chaînes de télévision. Le drone est désormais l'outil indispensable à une « agriculture de précision » pour optimiser les rendements, améliorer la qualité de la production et, bien évidemment, mieux respecter l'environnement. «  Avec les drones, les agriculteurs vont pouvoir faire des économies d'intrants » affirme Frédéric Serre, le président du directoire de Delta Drone, la première entreprise française fabricante de drones civils.
Les milans royaux, les marouettes ponctuées, les fauvettes à lunettes, sont menacés d'extinction mais les drones vont se multiplier avec la bénédiction de l'INRA qui voit dans ces outils de télédétection un moyen « de recueillir des informations clés sur des parcelles cultivées » et « des alliés pour l'agriculteur soucieux d'optimiser ses apports azotés ».

Cette agriculture innovante, qui prétend nourrir la planète, est évidemment réservée à une toute petite élite, à une toute petite frange d'agri-managers, environ 1 % des actifs agricoles sur les 1,3 milliards de travailleurs paysans. L'agriculture manuelle, sans tracteur ni machine, l'agriculture à bras - et ce sont souvent des bras de femmes - demeure largement dominante à l'échelle mondiale. La pauvreté et la faim affectent encore la grande majorité des paysans d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine. Comme le rappelle Marcel Mazoyer, professeur émérite à l'Institut national agronomique, « l'écart de productivité entre les paysans les plus nombreux qui sont les moins bien équipés, et une poignée de quelques millions d'agriculteurs très équipés et très en avance, est passé à 1 pour 2000 ».

L'agriculture de demain n'est pas celle désignée et vantée par les tenants du système. On sent bien, derrière l'arrogance du discours, que le rouleau compresseur de l'agriculture industrielle est à bout de souffle, n'ayant d'ailleurs plus rien d'autre à broyer que des sols inertes. Les esprits mûrissent, évoluent. Pour la première fois dans l'histoire de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique), plus d'une centaine de chercheurs ont récemment demandé à leur administration le retrait d'une étude partisane critiquant l'agriculture biologique (lire l'article de Reporterre).

Quand un système en est réduit à tronquer, falsifier la réalité, afin de maintenir son hégémonie, il approche de sa fin et se sait lui-même condamné.

Jean-Luc Gasnier  (Attac33)