Qui a Tué Poulain Corbion ?

Paru à la mi-avril 2012 aux éditions des Montagnes Noires, 190 pages, 16,90€
Distribution Coop Breizh

couverture
    Dans la nuit du 4 au 5 brumaire an VIII (26 au 27 octobre 1799), un détachement de plus de 1000 chouans, venus de tous les coins de Bretagne, envahit Saint Brieuc - à l’époque Port Brieuc - pour attaquer la prison.

    Gardes républicains et militaires sont vite débordés. Les chouans, en fin de nuit, parviennent à libérer les prisonniers. Au matin, une dizaine de cadavres gisent sur le sol, dont celui de Poulain-Corbion, 56 ans, Commissaire exécutif du Directoire. S’est-il retrouvé, cette nuit-là, par hasard, sur la route des chouans ? Serait-il un fuyard victime d’une balle perdue ? Voulait-il, au contraire, défendre sa ville et son idéal républicain ? Était-il déjà connu de ses exécuteurs ? Depuis deux siècles, les opinions divergent à ce sujet.

    Le 18 brumaire, treize jours plus tard, le Consulat de Napoléon sonnera le glas de la première chouannerie. Cette histoire constitue le dernier grand affrontement armé entre chouans et républicains en Bretagne. Un face-à-face dans lequel plongent toujours nos racines antagonistes.

La critique d'Alain-Gabriel Monnot dans Bretagne Actuelle :
http://www.bretagne-actuelle.com/republicains-et-chouans-en-bretagne-selon-jean-kergrist/livres/essai/227-1-19

Républicains et Chouans en Bretagne selon Jean Kergrist
Qui a Tué Poulain Corbion? / Editions des Montagnes Noires/ Avril 2012 / 192 pages

Jean Kergrist publie aux récentes Editions des Montagnes noires ( Gourin) une passionnante étude au sujet des rapports conflictuels entre Républicains et Chouans dans les Côtes-du-Nord de la toute fin du XVIIIè siècle. Un ouvrage très documenté, vrai plaisir d'historien soutenu par une langue vive et somptueusement colorée. Un régal !

Il faut souvent prendre les clowns au sérieux. Jean Kergrist en est la preuve sans contredit. Lui qu'on a connu saltimbanque, clown atomique, clown agricole, batteur d'estrades, est aussi - mais qui ne s'en doutait ? - un penseur, un historien dévoreur d'archives, bref un intellectuel au sens le plus riche et le plus fondé du terme. Qui a tué Poulain-Corbion ?, étude historique serrée consacrée à la mort du Commissaire exécutif du Directoire de Saint-Brieuc ( alors Port-Brieuc) dans la nuit du 4 au 5 brumaire an VIII ( 26 au 27 octobre 1799 ) confirme cette aisance et ce talent. L'ouvrage, à la fois thèse savante et saga historique truculente, revient dans les moindres détails sur cette nuit agitée qui vit un millier de Chouans investir Saint-Brieuc pour y attaquer la prison.

On a plaisir réel à revenir deux siècles en arrière et à comprendre avec Jean Kergrist que, sans renier aucunement l'oeuvre révolutionnaire, on peut se pencher avec intérêt sur les motivations des Chouans, lesquels, loin d'être tous des obscurantistes soumis à Dieu et au Roi, luttaient à leur façon obstinée contre certains abus et profits malhonnêtes de certains nouveaux maîtres du temps lesquels saisissaient le commode prétexte révolutionnaire pour tirer indécent profit des expropriations des certains paysans accusés de "mal penser".

Somme toute, le livre nous renvoie à nos " racines antagonistes" et c'est à juste titre que Jean Kergrist cite Mona Ozouf qui évoque dans son magistral essai Composition française ( Gallimard, 2009) nos "pensées belliqueuses et contradictoires". Car, au-delà des idéologies, ce qui passionne toujours Jean Kergrist ( et nous comme lui), c'est la révolte de l'homme humble, spolié par le pouvoir en place et qui n'a à la pensée ou à la bouche que cette phrase qui sera durant toute l' Occupation allemande la fière devise de Jean Guéhenno : " Mais la servitude finira".

On lit donc un ouvrage dense de près de 200 pages, sans l'ombre jamais d'un ennui ou d'une lassitude. Sous la plume enjouée de l'auteur déjà remarqué des Bagnards du canal de Nantes à Brest, Saint-Brieuc et ses campagnes environnantes deviennent passionnément modernes. On y retrouve des lieux-dits inchangés, des rues familières. On se plait à ce récit épique de combats souvent maladroits, désordonnés. On y lit par dessus tout la volonté farouche des hommes de se libérer du joug de ceux qu'ils jugent être leurs oppresseurs - en tous temps, en tous lieux. En cela, Kergrist touche vraiment au but : son insoumission permanente nous séduit - infiniment.

Alain-Gabriel Monot.
publié le 17-08-2012


peuple breton
Peuple breton juin 2022, page 29
Ormeau
 
article Télégramme
Article du Télégramme qui a mis le"feu aux poudres".
Il résume bien la problématique…. même s’il comporte quelques petites approximations et jugements.
Il est l’œuvre d’une journaliste, non de l’auteur. Vive la liberté de la presse, conquête des Lumières et de la Révolution française !

Rôle de l'historien :
Il est différent de celui du journaliste. Il ne soit pas risquer l'anachronisme en s'encombrant de jugements  moraux, car les sociétés évoluent.
Son rôle consiste avant tout à rechercher et à vérifier les faits (critique interne et externe).

Libre ensuite à chacun de se faire son jugement moral.

***

NOTE D’HISTOIRE, EN MARGE DE CETTE PUBLICATION

I - Faut-il reconstruire la statue de Poulain-Corbion
place Général De Gaulle à Saint-Brieuc ?


Répondre à la question de la reconstruction de la statue à Poulain-Corbion, sculptée par Pierre Ogé en 1889 et détruite par les Allemands en 1942 - comme beaucoup me le demandent déjà - ne constituait pas l’objet initial de ma recherche aux archives. Encore moins du film que je prépare. Je n’entends donc pas entrer en polémique à ce propos… même si j’aborde, très accessoirement, cette question à la fin de mon ouvrage.

platre
le douuble en plâtre, sculpté pat Pierre Ogé.
Il manque encore les clefs dans la main droite




Ma recherche historique s’appuie sur des références précises à des documents d’archives et chacun pourra, à partir de ces documents - et des 258 notes de bas de page - ainsi que de sa sensibilité, se faire une idée personnelle sur le sujet. La question de la statue semble tenir davantage de la symbolique sociale et politique que de l’histoire proprement dite… une symbolique revue, corrigée, fin 19ième siècle, par la nécessité, à cette époque, de renforcer l’unité nationale autour d’une troisième République encore fragile.

***

Après quatre ans de recherche et de confrontation aux documents, je me permets toutefois, comme éventuelle aide à la décision, d’avancer quelques considérations pour le moins nuancées.
Tout dépend, en effet, du but recherché :


1- S’il s’agit d’honorer un citoyen briochin, délégué aux Etats Généraux de 1789 ayant voté l’abolition des privilèges ainsi que la déclaration des droits de l’homme, on a le choix entre deux personnalités : Jean Poulain de Corbion, (1743-1799) né à Quintin, et Julien Palasne de Champeaux, (1736-1795) né à Saint Brieuc. La place des droits de l’Homme serait, dans ce cas de figure, un lieu approprié à une telle commémoration.

2- S’il s’agit d’honorer un ardent défenseur républicain de la ville, c’est une statue au capitaine Denbrine qui naturellement s’impose : c’est lui qui avait caché la clef de la poudrière - située à l’intérieur d’une des tours de la cathédrale - dans un trou au pied de son lit de camp, à la caserne des Ursulines, et qui a fait courir les chouans toute la nuit sans leur révéler son secret.
Le jeune Le Provost, 14 ans, fils d’un des administrateurs de la ville, a également fait montre d’un grand courage en protégeant la fuite de son père et en s’interposant entre sa mère et les fusils des Chouans en criant « Vive la République ! »

3- S’il s’agit d’honorer la victime la plus connue de cette nuit tragique du 4 au 5 brumaire an VIII où les chouans ont envahit la ville pour libérer les prisonniers : c’est manifestement Poulain-Corbion, commissaire du Directoire de la ville, qu’il faut mettre en avant, même s’il n’a pas été la seule victime, côté républicain. En effet, six gardes, défendant leur ville les armes à la main, et dont on possède les noms, ont été aussi tués cette nuit-là par les Chouans.

4- S’il s’agit - au nom du régionalisme, de la réconciliation ou du recul historique de plus de deux siècles - de tourner la page sur cette guerre civile en honorant tous les morts des deux camps, il faudrait, en ce cas, y associer aussi les 10 chouans, dont l’histoire n’a pas retenu les noms, tués en ville ou a proximité, ainsi qu’une quarantaine d’autres au château de l’Hermitage Lorge, lors de leur repli.

5- S’il s’agit, dans la perspective d’idéaux inspirés des Lumières et de la Révolution française, d’honorer l’intégrité morale et civique ou le courage républicain, Poulain-Corbion, juge au tribunal de commerce de février 1792 à mars 1795, puis procureur syndic jusqu'en octobre 1797, qui a largement mis à profit ses fonctions officielles pour acheter de nombreux biens nationaux, dont quatre métairies alentour - j’en dresse une liste précise, nominative et circonstanciée dans mon ouvrage - n’est sans doute pas le mieux placé pour incarner ce rôle symbolique, d’autant plus que, prévenu de l’attaque des chouans, il avait fait publier la veille, par crieur public, une « bannie » recommandant aux briochins de ne pas sortir cette nuit-là de leurs maisons.

statue
Poulain-Corbion, représenté par Pierre Ogé en dandy élancé,
repoussant les Chouans d'une main
tenant "les" clefs de la ville de l'autre.

et
Ci-dessous son buste (moins gratifiant)
dessiné à Paris en 1789, lors de l'assemblée constituante.


II- Pourquoi cette légende d’un Poulain-Corbion « héros républicain » ?
buste
Trois principaux facteurs ont contribué à la propagation d’une telle légende :

1- L’affaire de la clef de la poudrière
Cette clef (il n’y en avait qu’une seule) a très vite servi de support à la symbolique des clefs de la ville (défense de la cité). La commande passée à Pierre Ogé en 1889, pour la statue commémorant le centenaire de la Révolution, la met largement en avant. Or la clef de la poudrière était de compétence militaire et dépendait du commandant de la place, le général Casabianca. Elle avait été confiée au capitaine Denbrine, capitaine du 3ième régiment d’infanterie, en garnison aux Ursulines. La symbolique tient difficilement quand son support matériel s’effondre.

2 - La naissance de la légende du héros
Le lendemain de la nuit tragique du 4 au 5 brumaire an VIII, les Briochins sont tellement ulcérés qu’ils accusent leurs administrateurs de trahison. D’où l’urgence pour les autorités de reprendre la situation en main. Ce sont ces administrateurs - Le Provost, Barbédienne, Brichet, Loncle, Delaunay, commissaires municipaux et Denoual, commissaire départemental - réunis d’urgence, qui créent alors, de toute pièce, par une longue déclaration publique, le mythe de la mort héroïque de Poulain-Corbion, devenu un exemple pour tout militant républicain.

3 - La supposée disparition de Poulain-Corbion de la vie publique en 1792   
La quasi-totalité des historiens, sans doute influencés par ce mythe, ont ensuite avancé que Poulain-Corbion avait disparu de la vie publique à son retour de Paris fin 1791, allant jusqu’à refuser son élection à la mairie. Si ce refus est bien vérifié, son acceptation début 1792, trois mois plus tard, de la charge de juge au tribunal de commerce, puis, en octobre 1797, de procureur syndic, institution à qui la Directoire a confié la charge d'inventorier puis de vendre aux enchères les biens nationaux, est étrangement passée sous silence. Il n’était pourtant pas bien sorcier de chercher aux archives la liste des jugements et actes passés par Poulain-Corbion lors de ses années d’exercice.

 JK le 21/03/12

Ces quelques notes ne sauraient prétendre résumer un livre de 190 pages, truffé de 258 références.

Conférence pour la sortie du livre
à la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc
le vendredi  20 avril à 18h30
 
Voir aussi, à ce sujet, la rubrique à l'affiche et  page coups de gueule (j'y fais une autre proposition)

et aussi, contradictoirement, le site de l'association republicaine Poulain-Corbion